Tirailleurs : Omar Sy brille en tirailleur et éclaireur

Tirailleurs : Omar Sy brille en tirailleur et éclaireur

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Tirailleurs", le réalisateur Mathieu Vadepied et l'acteur Omar Sy racontent par un drame familial l'engagement des tirailleurs sénégalais durant la Première Guerre mondiale. Un film dont les limites formelles n'empêchent pas la transmission d'un récit bouleversant et inspiré.

Un drame familial et politique au coeur de la Grande Guerre

Tirailleurs, deuxième long-métrage de Mathieu Vadepied après La Vie en grand sorti en 2015, est un film dont l'ambition est au moins triple. D'abord, c'est un film de guerre, avec ses dimensions personnelle et collective. Ensuite, c'est un drame familial, l'histoire d'un père et de son fils déchirés par leur engagement dans le premier conflit armé mondial. Enfin, c'est une oeuvre politique puisque Tirailleurs raconte, comme son nom l'indique, la participation des tirailleurs sénégalais sous le drapeau français aux combats de la Première Guerre mondiale. Une histoire largement méconnue et injustement annexée dans le récit de cette période, pourtant très documentée et communiquée.

Film de guerre, Tirailleurs raconte l'enrôlement de force en 1917 du jeune sénégalais Thierno (Alassane Diong) par l'armée française. Son père Bakary (Omar Sy), ayant juré de protéger son fils et de le ramener au village, va lui s'engager volontairement à cette fin. Vite arrivés dans le Nord de la France où les combats font rage, les deux hommes vont suivre des chemins différents.

Tirailleurs
Tirailleurs ©Gaumont

Avec un budget de 11 millions d'euros, cette production franco-sénégalaise ne pouvait pas prendre la forme d'un très grand spectacle et l'horreur de la Première Guerre mondiale se met plus en scène dans l'attente fébrile des assauts et les yeux des combattants que sur les plaines boueuses trouées par les bombardements. Tirailleurs offre quand même quelques séquences guerrières intéressantes, jouant intelligemment de la brume et de l'obscurité pour se donner de l'envergure.

Mais le vrai sujet de Tirailleurs est ailleurs, puisque Mathieu Vadepied, accompagné d'Olivier Demangel au scénario, choisit de raconter deux hommes, entre sagesse et fougue, résignation et ambition, deux hommes dont l'existence même est compliquée, parce qu'elle n'est qu'à peine reconnue par le pays qui les envoie au feu.

Omar Sy dans un de ses plus beaux rôles

Père aimant et protecteur, Bakary va donc tout faire pour protéger son fils, tout en cachant d'abord à ses supérieurs qu'il est le père de Thierno. Au campement comme dans les tranchées, le danger vient de partout. De l'ennemi bien sûr, mais aussi de leurs frères d'armes. En effet, le terme "tirailleurs sénégalais" ne s'applique pas aux seuls sénégalais, mais à tous les hommes d'Afrique noire enrôlés dans l'armée. Les inimitiés entre les différentes populations mobilisées se retrouvent ainsi, aussi, chez ces soldats.

Si Bakary connaît la cruauté des hommes et sait que la guerre ne mène qu'à la mort et à la désolation, ce n'est pas le cas de Thierno. En effet, celui-ci montre des aptitudes au combat, et devient rapidement un des favoris du lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet), fils d'un général. Pour Thierno, la guerre est une double opportunité : celle de devenir un homme et de s'affranchir de son père et celle, brandie par les autorités françaises, d'être reconnu "pleinement" français. Pour cette seconde opportunité, l'histoire montrera qu'elle avait tout d'une chimère...

Tirailleurs
Tirailleurs ©Gaumont

Thierno vit ainsi son histoire en tant que tirailleur au premier degré. Bakary, lui, n'est pas dupe et sait que, in fine, rien de bon n'en ressortira. C'est avec cette forme de tragique sagesse qu'Omar Sy doit ainsi composer, agir pour son fils tout en allant contre lui, tentant de l'arracher de la voie qu'il s'est choisie.

L'acteur brille dans ce rôle aux multiples facettes, déployant un charisme d'autant plus bouleversant qu'il est économe en mots. Thierno a sa mission, lui a la sienne. Dans des jeux de regards, dans une composition physique où il se fait bouclier, dans une résignation tout sauf impuissante et un déchirement constant, Omar Sy trouve là une de ses plus belles performances.

"Couvrez ce sacrifice que je ne saurais voir..."

Si formellement Tirailleurs pèche par une narration au rythme faible et une mise en scène trop sage - faute peut-être d'un ton didactique appuyé -, les deux acteurs principaux font tout l'intérêt du film de Mathieu Vadepied. Leurs performances, qui visent à faire émerger du bourbier de la guerre et des oubliettes l'histoire des tirailleurs sénégalais, avec une profonde humanité et un désir légitime de reconnaissance, touchent au coeur.

Tirailleurs
Bakary Diallo (Omar Sy) - Tirailleurs ©Gaumont

Dans sa très belle fin, qu'on ne déflorera pas, Tirailleurs conduit son public à regarder les yeux grand ouverts cette histoire et cet engagement qui ne sont pas encore pleinement reconnus. En se concentrant sur l'intimité d'un drame familial pour y trouver une universalité, en montrant peut-être plus la violence coloniale que la violence commune d'un conflit armé, ce film défriche et s'engage dans une voie salutaire. Acteur principal et producteur de Tirailleurs, Omar Sy y incarne donc un tirailleur mais aussi un éclaireur, là où, jusqu'à présent, si peu ont osé s'engager.

Tirailleurs de Mathieu Vadepied, en salles le 4 janvier 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Porté par un Omar Sy charismatique, "Tirailleurs" raconte avec des performances inspirées de ses deux acteurs principaux une histoire bouleversante et injustement méconnue. On pourra regretter son ambition formelle limitée, mais apprécier sa touchante humanité et son caractère inédit.

Note spectateur : 2.09 (11 notes)