CRITIQUE / AVIS FILM – "Toni en famille" confirme le talent du réalisateur Nathan Ambrosioni. Il embarque avec allant et émotion le spectateur dans la vie d’une femme (Camille Cottin) à la croisée des chemins, que le rôle de mère ne suffit plus à combler.
Camille Cottin, mère d'une grande famille
Dans son premier long-métrage Les Drapeaux de papier, le jeune réalisateur Nathan Ambrosioni avait déjà fait preuve d’une grande maitrise de son sujet. En abordant la réinsertion des détenus et leur difficulté à maintenir les liens familiaux, il avait ainsi réussi à rendre empathique le spectateur envers son héros interprété par Guillaume Gouix. On retrouve d’ailleurs le comédien dans Toni en famille, en interne qui prend en charge Timothée (Oscar Pauleau), jeune patient autodestructeur.
L’adolescent traverse en effet une crise et souffre de l’absence de son père. Il est le dernier fils d'Antonia (Camille Cottin), dite Toni, qui élève seule ses cinq enfants. Mathilde (Léa Lopez) et Marcus (Thomas Gioria, toujours aussi bluffant depuis Jusqu’à la garde) vont passer leur bac, Camille (Louise Labèque) et Olivia (Juliane Lepoureau) sont au collège. L'amour, les rires et les engueulades règnent dans la maison.
Nathan Ambrosioni maîtrise haut la main le sujet de cette mère de famille. Il la montre joyeuse avec ses adolescents, mais aussi submergée par cette tornade de vie et la charge mentale qui en découle. Certains pourraient trouver gonflé, voire illégitime, qu’un si jeune homme ose aborder le destin d’une quarantenaire dont la vie semble incomplète.
S'émanciper du regard des autres
Le réalisateur, rencontré au Festival du Film Francophone d’Angoulême, a pourtant l’impression "qu’en tant que jeune personne queer victime de discrimination et d’une certaine oppression dans cette société patriarcale", il peut dégenrer son regard et utiliser son empathie pour comprendre en quoi son héroïne et lui se ressemblent. Il a d'ailleurs pensé son film comme "une lettre d‘amour à sa mère, aux mères de ses amis et amies et aux mères de cinéma qu’il aime énormément", dont l’actrice australienne Toni Collette, inspiratrice du titre.
Plus jeune, Toni a gagné une émission de télécrochet, succès sur lequel elle surfe encore lors de soirées d’enterrement de jeune fille. La chanson est devenue son métier, qu'elle exerce désormais le soir dans des bars. Le réalisateur dépeint avec beaucoup de vérité cette femme qui n'a pas une minute à elle, tant elle est happée par la vie au quotidien et les vicissitudes de sa progéniture. Coincée dans le passé de son unique coup d’éclat et les carcans sociaux dans lesquels elle s’est laissée enfermer.
Car pour le réalisateur, en faire une ancienne star permettait de rajouter une injonction à Toni. "On lui a assigné une gloire qu’elle n’a pas vraiment voulue, et non seulement elle n’est reconnue que pour ça, mais tout le monde s’en moque" nous expliquait-il. Et c’est bien de cohérence à soi-même et de ses aspirations profondes dont il est question dans Toni en famille. Et de ce fameux principe que le psychiatre Carl Jung nommait "la transition du milieu de vie", sorte de mouvement intérieur de "processus d’individuation".
Un film pour tous
Sans porter de jugements, le réalisateur embarque brillamment le spectateur dans cet élan devenu vital pour Toni. Elle ne peut plus se contenter d’être seulement une mère et éprouve le besoin d'exister pour elle-même. Il lui faut donc s’émanciper des regards que lui portent ses proches. D'abord celui condescendant de sa propre mère (Catherine Mouchet).
Puis celui de ses enfants, qui découvrent avec surprise que Toni voudrait vivre ses rêves. Et nul doute que cette thématique de l’émancipation et de la découverte de l’estime de soi parlera à beaucoup de spectateurs, quelque soit leur âge et leur sexe.
On s'attache beaucoup à cette famille grâce au casting parfait, et à l’interprétation touchante tout en sobriété et en douceur de Camille Cottin, dont les rôles sont souvent plus extravagants (Connasse, Princesse des cœurs) ou puissants (Dix pour cent, Killing Eve). En choisissant "l’une des rares actrices qui le faisait se déplacer au cinéma", Nathan Ambrosioni réussit donc à émouvoir et à faire réfléchir à l'audace et aux choix de vie.
Toni en famille de Nathan Ambrosioni, en salles le 6 septembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.