Tous les dieux du ciel : une fratrie qui bouscule

Tous les dieux du ciel : une fratrie qui bouscule

CRITIQUE / AVIS FILM - Quarxx décrit dans "Tous les dieux du ciel" une relation dysfonctionnelle entre un frère et sa sœur et aborde avec brio handicap, rédemption, misère sociale et folie.

Avant l’intrigue elle-même, c’est un univers à lui tout seul que propose Quarxx, qui exprime son art aussi bien par le cinéma, que la photographie ou la peinture. Le réalisateur (également scénariste) de Tous les dieux du ciel installe d’emblée le spectateur dans une atmosphère particulière qui flirte avec le malaise. Ses personnages sont comme des funambules qui avancent sur un fil oscillant tantôt entre la folie et la raison, les cauchemars et la réalité, l’amour et la haine, le rire et les pleurs, la fiction et la science-fiction mais aussi le ridicule et le sérieux.

D’un côté, Quarxx donne à voir dans Tous les dieux du ciel des gens normaux qui respectent la loi. Ainsi les patrons de l’usine, le psychiatre, les services sociaux ou les policiers s’expriment toujours avec calme et une autorité naturelle car ils ont trouvé leur place dans la société. De l’autre côté, le réalisateur met en scène des individus qui se comportent bizarrement, avec un mode d’expression sans filtre et des gestes parfois violents. Ceux-là n’ont manifestement pas bénéficié de l’éducation des codes de la vie en société. L’urgence de régler les problèmes de leur vie misérable fait sans cesse évoluer leurs priorités.

Tous les dieux du ciel : une fratrie qui bouscule

Il n’y a jamais de ligne toute tracée pour ces personnages, malgré tout attachants, qui doivent faire avec les moyens du bord. Ce sont de petites gens qui baignent dans la vulgarité, qui souffrent, râlent et affrontent les aléas de la vie tout en ayant conscience que rien ne changera jamais pour eux. Frustrés, ils prennent plaisir à ne pas respecter les règles et à les contourner parfois avec malice, parfois avec agressivité. Car le pire ne les effraie pas, ils ont grandi avec. Et surtout, ils n’accordent aucune importance au regard que les bien-pensants portent sur eux, comme s'ils étaient incapables d'émotions.

Le diable est dans les détails

La vie de Simon (Jean-Luc Couchard) s’est arrêtée 20 ans auparavant quand il a mis au défi sa petite sœur Estelle (Mélanie Gaydos) de s’essayer à la roulette russe avec l’arme de leur père. Tout a basculé quand la balle est venue perforer le joli visage de la petite fille, la défigurant et la laissant lourdement handicapée. Elle n’est pas morte, mais elle est condamnée à vivre. Simon s’est construit sur ce traumatisme et a dû apprendre à gérer, sous le regard réprobateur de ses parents désormais disparus, la vie d’Estelle. Il a l’obligation de suivre un traitement prescrit par son psychiatre, sous peine de voir sa sœur placée sous contrainte.

Dans son parcours de rédemption, il a dédié sa vie à sa sœur et refuse toute aide sociale. Ils vivent isolés du monde dans la ferme familiale, sans autre repère que l’usine dans laquelle Simon travaille, pour subvenir à leurs besoins. Il la nourrit, la lave, l’habille, lui lit des romans d’amour, lui procure parfois des amants. La compagnie d’une petite fille, Zoé (Zélie Rixhon), ramenée par Simon et qui voit le fantôme de sa mère, égaye un temps la vie morne d’Estelle.

Tous les dieux du ciel : une fratrie qui bouscule

Le réalisateur montre brillamment les enjeux de pouvoir et le mélange d’amour et de haine réciproques que frère et sœur éprouvent l’un pour l’autre et les lie pour toujours, même si Estelle ne parle qu’avec ses yeux. Les deux acteurs qui les incarnent dessinent une interprétation extrêmement juste et bouleversante. Le réalisateur offre ainsi un beau rôle sombre et d’une grande profondeur à Jean-Luc Couchard, qu’on a plutôt vu jusqu'à présent dans des rôles de pleutre, de sombre crétin ou de fou furieux. Quant à Mélanie Gaydos, dont c’est le premier rôle à l’écran et qui souffre de maladie génétique - la dysplasie ectodermique -, son charisme fait sensation.

L’autre bonne idée de ce film surprenant est aussi de plonger le spectateur dans la tête secouée de Simon et de lui permettre de s’interroger sur la façon de survivre après un tel choc post-traumatique familial. Car l’homme, coincé dans sa vie après avoir grandi dans une grande solitude et sans affection, entend des voix depuis le drame. On ne sait pas si ces voix sont celles de dieux ou celles d’extra-terrestres dont il espère la venue sur terre pour qu’ils les sauvent, Estelle et lui. On le voit tracer de mystérieux cercles dans l’un de ses champs, qui ne manqueront pas de susciter la curiosité du spectateur envers le fameux mythe des crop circles. Ou si ces voix sont les conséquences de l’arrêt du traitement de Simon, ou le seul moyen de paranoïa qu’il a trouvé pour affronter son traumatisme et supporter l’insupportable. Tous les dieux du ciel se révèle un film très original qui bouscule le spectateur jusqu’au terme de l’histoire et dont les multiples clés de lecture - sociales, familiales, dramatiques, psychologiques - ne le limitent heureusement pas aux films dits de genre.

 

Tous les dieux du ciel de Quarxx, en salle le 15 mai 2019.  Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Tous les dieux du ciel" interroge brillamment sur la façon de surmonter un drame familial, au cœur d'une ambiance qui évoque aussi le handicap, la folie, la rédemption et la misère sociale.

Note spectateur : Sois le premier