CRITIQUE / AVIS FILM - Pour son nouveau film « Un coup de maître », Rémi Bezançon raconte une belle amitié dans le monde de l’art pictural. Une tendre et joyeuse comédie dont la réussite est minorée par une regrettable forme de timidité.
Un duo sincère et attachant
Un coup de maître est le septième long-métrage de Rémi Bezançon - le sixième en prises de vues réelles -, et d’emblée on retrouve ce qui a fait le succès de ses premiers films. En effet, au jeu du portrait, le réalisateur et scénariste de Le Premier Jour du reste de ta vie (2008) a de sérieuses qualités. Et raconter les gens, les peindre, leur confier des dialogues à la fois naturels et sensés, comiques comme dramatiques, le réalisateur y parvient d’autant mieux qu’il a pour Un coup de maître un duo de comédiens formidables, Bouli Lanners et Vincent Macaigne.
Bouli Lanners est Renzo Nervi, un peintre à la cote en chute libre. Souffrant d’une crise existentielle, solitaire, endetté, quasi suicidaire, son comportement radical est un problème pour Arthur (Vincent Macaigne), son galeriste, promoteur, et surtout son meilleur ami. Alors que Renzo s’enfonce irrémédiablement dans une situation sans issue, ils vont prendre une décision extrême : faire disparaître Renzo.
Un coup de maître est une comédie avec sa dose de drame, et se range naturellement dans la catégorie du buddy movie. Ensemble, Bouli Lanners et Vincent Macaigne incarnent deux clowns, l’auguste et le blanc, le volontaire et le triste. Ils sont drôles, touchants, et avant tout sincères. En effet, les comédiens réussissent parfaitement leurs personnages, sans aucune posture.
Renzo est vraiment déprimé et triste, il ne joue pas à l’artiste maudit, et Arthur est sincèrement soucieux de l’état de son ami, comme il l’est de sa galerie. Arthur aime l’art, il a fait les Beaux-arts où il s’est lié d’amitié avec Renzo, il sait simplement qu’il est meilleur à le vendre qu’à le créer. Une des grandes qualités d’Un coup de maître est ainsi la pureté de ses personnages, auxquels on s’attache immédiatement.
Une exécution académique…
Avec ses personnages réalistes et hauts en couleur, avec le milieu de l’art qu’ils traversent, Rémi Bezançon offre avec Un coup de maître quelques jolies vues. Dans ce film à la cinématographie académique, on trouve ainsi quelques plans intéressants. Aussi, un ou deux grands moments de « comédie », où les acteurs s’en donnent à coeur joie. Et plus l’enjeu de la séquence est fort, plus le cadre se rapproche d’eux, saisissant au mieux leurs joies, leurs peines, leurs espoirs et leurs inquiétudes.
Sincère, direct et fondamentalement joyeux, Un coup de maître ne s’embarrasse d’aucun cynisme, ni dans le fond ni dans sa forme, ni d’un réel point de vue critique sur l’art et sa commercialisation. Grâce soit rendue aux acteurs principaux - et aux personnages secondaires incarnés par Bastien Ughetto et Anaïde Rozam -, sa qualité de comédie de caractère suffit à Un coup de maître pour convaincre. Mais convaincant, il aurait pu l’être encore plus s’il avait moins survolé des thèmes qui ne servent qu’à nourrir les effets des situations et des dialogues.
… sans assez d’éclats
À bien regarder, Un coup de maître aurait pu se dérouler dans le milieu de la littérature, avec un écrivain et son éditeur, dans celui du cinéma avec un cinéaste et son producteur, dans celui de la chanson, etc.. En effet, dans la forme du film, rien ou presque ne cherche à se confondre à l’art pictural. Que la caméra soit portée sur Renzo ou Arthur, elle n’adopte pas un parti pris particulier, et les images ne rendent pas les énergies différentes de ces personnages. À quelques instants, l’idée de donner à Un coup de maître un geste pictural apparaît, mais de manière trop fugace et finalement artificielle.
Sur le fond, la distinction est faite entre l’art et l’art « de commande ». Mais Rémi Bezançon n’évoque néanmoins pas la cruauté du marché de l’art, ses postures, le cynisme qu’on peut y associer. De l’autre côté, la nature complexe de l’artiste est elle aussi laissée de côté, évoquée uniquement pour servir les enjeux émotionnels de l’amitié des deux hommes. Une frustration, parce que l’intelligence et l’humanité d’Un coup de maître sont sensibles et auraient pu donner, plus appuyées, une autre ampleur au film.
Ainsi, même si l’histoire de l’amitié d’Arthur et Renzo est belle, drôle, émouvante, elle n’est « que » ça, une agréable bulle imperméable au monde qui la fait pourtant exister, monde dont il aurait été intéressant d’approfondir l'exploration. Se dégage ainsi d’Un coup de maître comme une timidité, qui dessert en partie sa touchante émotion.
Un coup de maître de Rémi Bezançon, en salles le 9 août 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.