CRITIQUE / AVIS FILM - Le cinéaste iranien Asghar Farhadi revient, trois ans après le décevant "Everybody Knows", avec "Un héros". L'histoire d'un homme piégé dans un engrenage tortueux. Une démonstration de force scénaristique.
Un héros : Asghar Farhadi retrouve l'Iran
Si le bon cinéma n'a pas besoin d'un bon scénario pour exister, il est toujours très appréciable de se laisser séduire par les charmes d'une symphonie bien orchestrée. En matière de scénario, il ne fait aucun doute qu'Asghar Farhadi sait y faire pour accompagner les spectateurs dans des intrigues qui vont lui tordre l'esprit. Après son passage infructueux en Espagne, il revient dans son pays, l'Iran, pour Un héros.
L'histoire suit Brahim (Mohsen Tanabande, auteur d'une performance solide), un homme à qui ont été accordés des jours de liberté conditionnelle. On ne tardera pas à apprendre qu'il est emprisonné à cause d'une dette importante. Cette fois, il espère rembourser son créancier grâce à des pièces d'or trouvées par sa future femme. Au moment de les vendre, la somme qu'il peut en tirer ne le convainc pas. Il encaisse cet échec comme un signe. Désireux de soulager sa conscience, il se met en tête de retrouver le propriétaire des pièces. Quelqu'un va se manifester et Brahim sera érigé en héros pour son acte. Alors que l'engouement autour de lui peut changer sa vie, il va se retrouver entraîné malgré lui dans une spirale infernale.
Une écriture ciselée
En partant de cette situation initiale, Asghar Farhadi tisse une toile diabolique, mélange entre cruel suspense et regard acéré sur la société iranienne. Les deux se mélangent avec fluidité, sans qu'un pôle ne cherche à surpasser l'autre. Le travail est précis, parfois impitoyable pour le personnage central, toujours admirable. Une construction qui force le respect et qui ne surprend pas de la part d'Asghar Farhadi. À mesure qu'il dégaine avec timing les différents éléments qui confèrent toujours plus de complexité à Un héros, il ne cesse de provoquer une multitude d'interrogations chez nous. Rahim est en prison pour une dette qu'il ne peut honorer. Mais cela fait-il pour autant de lui un mauvais homme ?
A priori, non, si on le juge au travers de ses actes dans le film. Avec son sourire toujours un peu gêné et son envie de soigner son honneur, tout porte à croire qu'il mérite un nouveau départ. Son créancier apparaît comme un homme grognon, qui ne veut pas passer l'éponge. Et c'est justement là qu'Un héros devient plus retors. Quand les différents éléments qui arrivent à nos oreilles brouillent notre jugement sur ces deux personnages. La pirouette fonctionne avec brio lorsqu'on se rend compte que l'homme qui a envoyé Brahim en prison mérite autant notre compassion que ce dernier. À mesure que la situation se dégrade, le scénario ne cesse de nous placer face à notre propre conscience. Il est sans cesse question de la morale (la leur, la nôtre) et des entraves à celle-ci que l'on accepte quand elles nous sont bénéfiques.
Les vertus du mensonge
Des mensonges, il y en a partout dans Un héros. Dans toutes les strates de la société, les hommes et femmes s'arrangent avec la vérité pour en tirer profit. Même une association qui œuvre pour les plus défavorisés cède aux sirènes du mensonge. Même des gérants d'une prison. Lors d'une des nombreuses scènes tendues du film, un taxi lance à un employé que le pays va mal à cause de gens comme lui. Asghar Farhadi ne manque pas l'occasion de parler de l'Iran dans son nouveau long-métrage. Il va même plus loin, abordant des sujets qui auront une portée internationale, comme quand il évoque la force des réseaux sociaux ou la notion de notoriété auprès de l'opinion publique. Tout cela s'incorpore avec fluidité dans une trame réglée comme du papier à musique, jusqu'à un plan final qui se referme sur nous et le personnage comme un piège.
Un héros d'Asghar Farhadi, en salle le 22 décembre 2021.