CRITIQUE FILM - David Robert Mitchell, passé par la Semaine de la critique avec ses deux premiers films, monte en grade avec « Under the Silver Lake », présenté en compétition officielle à Cannes. Sam, un jeune zonard de Los Angeles, tente de retrouver sa voisine, Sarah, qui a subitement disparue.
Au bout de quelques minutes, on voit le truc venir : dans Under the Silver Lake, hommage littéral au film neo-noir par David Robert Mitchell, réalisateur en vogue depuis le succès critique et public d'It Follows, va multiplier, pendant plus de 2h15, les références explicites et les clins d'oeil cinéphiles. Dans l’appartement de Sam (Andrew Garfield), des posters de cinéma classique sont accrochés sur tous les murs. La même chose dans celle de Sarah (Riley Keough), sa mystérieuse voisine. Ensemble, sur le lit, ils regardent Comment épouser un millionnaire de Jean Negulesco, avec Marilyn Monroe. Auparavant, Sam couchait avec une autre fille, dont on ne saura jamais le nom (Riki Lindhome), et regardait, dans le même temps, les infos télévisuelles où est annoncé la mort soudaine d’un magnat de l’immobilier local.
La trajectoire de Sam lors de sa quête pour retrouver Sarah, malgré l’aspect retors de son parcours halluciné, est alors très simple. Il s’agira, en creux, de fuir cette paranoïa contemporaine, alimentée par une société de l’image, pour revenir vers le refuge du classicisme hollywoodien, symbolisé ici par des bunkers sous-terrains dans lesquels se terrent des fanatiques, des nostalgiques ou des âmes errantes en quête de repères. L’idée est très intéressante et le discours, quoique un poil régressif, prend le contre-pied d’une résurgence exacerbée de la culture audiovisuelle des années 1980-1990 en effectuant un bond vers des sources plus anciennes, ce tout en n’échappant jamais vraiment aux pastiches de la culture geek contemporaine.
Errements cinéphiles
On reconnaît des champs contre-champs Hitchockiens, avec des jumelles (Fenêtre sur Cour) ou lors d’une filiation en voiture (Sueurs Froides). On voit des extraits de La Bête du Lac Noir puis l’on saisit les doubles bonnettes et le discours méta de Brian De Palma. Il y a du Robert Altman, du David Lynch. On reconnaît Link sur une carte semblable aux premiers jeux Legend of Zelda. On pense au Chinatown de Polanski ou Big Lebowski des frères Coen, à Southland Tales de Richard Kelly ou, plus récemment, au Inherent Vice de Paul Thomas Anderson. On finit, petit à petit, par se lasser de ce name-dropping permanent, où l’univers Hollywoodien ne transpire qu’autour de lui-même, à la fois la toile de fond (le décor urbain de Los Angeles) et centre du film (les références directes et le monde des acteurs ratés).
Cette frontalité de la citation rejoint la surcharge d’effets sonores et visuels qui forcent le mystère. La paranoïa ambiante n’avait sans doute pas besoin de tous ces travellings compensés, zooms vers l’avant pour s’exprimer : le regard hébété d'Andrew Garfield et les événements improbables qui s’accumulent auraient suffi. Under the Silver Lake est un film riche, généreux, aux niveaux de lectures démultipliés par l’actualité : masculinité improbable de Sam (en retrait mais viriliste), paranoïa d’un espionnage de masse (et théorie du complot) et fétichisme du geek capable de déchiffrer des messages cachés entre les lignes des œuvres populaires (Ready Player One). L’analyse de ce nouveau film de David Robert Mitchell se révélera sans doute passionnante avec plus de temps et de recul, mais on reste sur notre faim après cette overdose éreintante de pop culture.
Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, présenté en compétition à Cannes, sortira en salle le 8 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.