CRITIQUE FILM - Dans son nouveau film Under The Tree, l'islandais Hafsteinn Gunnar Sigurðsson revient avec une comédie dramatique dont le cynisme nous rappelle les grandes heures anglaises et un côté esthétique épuré propre au cinéma nordique.
Présent en sélection officielle à Toronto en 2017, Under The Tree, aussi islandais soit-il, jouit d'un propos qui parlera à tous. C'est l'une des choses qui marque le plus dans ce film : nous sommes tour à tour tous les personnages, d'une manière ou d'une autre. Cette application à développer les différents protagonistes est une réelle force ici et la tension qu'ils apportent monte crescendo dans une ambiance de plus en plus sombre.
Une intense froideur dans le style
Hafsteinn Gunnar Sigurðsson revient donc avec son 3ème long-métrage après Either Way et Paris of the North. Dans Under The Tree, il sera question de voisinage et de perte de soi. Le synopsis se résume d'ailleurs très facilement : suite à une étrange histoire d'adultère, Atli se retrouve chez ses parents dont l'imposant arbre dans le jardin fait de l'ombre à la terrasse des voisins. Le quotidien devient une véritable guerre. Non sans rappeler une pointe de burlesque dans le texte, cette trame simple et à première vue humoristique cache en fait une tension placide propre au cinéma nordique.
En effet, entre un Ingmar Bergman en maître incontesté jusqu'à Nicolas Winding Refn en digne héritier de ce style particulier d'Europe du Nord, l'Islande pour sa part se révèle aujourd'hui capable de jolies choses. Souvent caractérisé par la froideur de ses couleurs ou encore les traits durs de ses personnages, ce style ici se reflète aussi par une froideur plus diffuse, insidieuse : Atli, que l'on accuse d'avoir trompé sa femme dans une scène d'une banalité quasi-surréaliste semble un coupable parfait. Cependant, l'intrigue avançant, cette froideur nous fera douter des sentiments et intentions de tous, au-delà des apparences.
C'est aussi en cela que le récit, mystérieux, évolue de manière a rendre chacun suspicieux de l'autre et plonge le spectateur dans une forme d'anxiété. La totalité du film fait d'ailleurs montre d'un incroyable sens des relations, toutes placides et pourtant si intenses. À l'image d'Agnes (interprétée par Lara Johanna Jonsdottir), résolue en une nuit à changer de vie, ignorant désormais Atli malgré leur fille en jeune âge.
Partition sous tension
De cette manière d'amener le sujet principal, nous retiendrons également la folie palpable derrière les faciès brimés par la culture. En effet, des deux couples se faisant la guerre avec d'un côté Inga et Baldvin et de l'autre Konrad et Eybjorg, respectivement interprétés par Edda Björgvinsdottir, Sigurdur Sigurjonsson, Dorsteinn Bachmann et Selma Björnsdottir, tous représentent un aspect de cet arbre.
Assez fou pour être souligné : la tension que dégage cet arbre faisant de l'ombre aux bains de soleil (assez ironique lorsque l'on connaît le taux d'ensoleillement de la petite île) d'Eyborg. Si cet arbre cristallise à lui seul toute la tension du film, la mise en scène habile qui lui est réservée est d'autant plus intrigante : la cyme de cet arbre, tout comme l'issu du conflit reste invisible. Comme si, de tous les méandres, branches et feuilles de cet arbre, source de tous les conflits, naissait une tension immuable aux hommes.
Une forme de poésie que nous ne manquerons pas de saluer tant les personnages et cet arbre ont un réel sens dans la mise en scène du film. Nous y retrouvons d'ailleurs l'enjeu principale car au delà de la profondeur certaines des personnages, autant à travers leurs démons que leurs relations (citons notamment la disparition du frère d'Atli, source de la folie de sa mère, Inga), la querelle reste d'une futilité absurde.
Ainsi, nous reprendrons le cas d'Eyborg, débarquant dans la vie de tous les protagonistes en dernière et pourtant, elle initie la problématique par sa volonté d'imposer son caractère. Un caractère que la folie douce nous présentera comme tantôt malsain, tantôt droit, d'une vraie poigne. Par certains aspects, on nous laisse même à penser à une forme de schizophrénie avec parcimonie avant que la tension ne prenne un tournant plus profond à mesure que la chorale dans laquelle chante Baldvin n'entonne sa complainte.
Humour cynique
Au final, de ce film, on retiendra essentiellement son humour. Caustiques au possible, les gags et diverses situations sont d'un cynisme sans nom. Ou alors étiqueté anglais, dans un style différent de celui des Monty Python et pourtant si parlant. De fait, signalons deux scènes pivots dans le film, suivant un fil rouge autour de l'intrigue principale lorsque la querelle en viendra à prendre une tournure malsaine : pensant qu'Eyborg a tué son chat, Inga va se venger. Inutile dans dire plus sur la manière, le spoil vous gâcherait le plaisir mais ne vous y méprenez pas... Cette scène, glauque et absurde, montrant les faiblesses d'une femme meurtrie, fait montre d'un humour au ton ravageur.
Enfin, la scène de fin : les méandres impénétrables de l'arbre comme si le destin choisissait de placer en lui l'avenir des protagonistes. Une fin empreinte de cynisme là encore, drôle et attendrissante mais si dramatique. Car oui, à la résolution des conflits, personne ne sort réellement gagnant. Si vous inviter à découvrir cette fin est le but ultime de cet argumentaire, nous n'y rajouterons qu'une chose : délicieusement noire et irrésistiblement drôle, la folie d'Under The Tree ne se mesure qu'à la profondeur de ses personnages et de leur psyché. Du grand art.
Under The Tree sortira en salle le 15 août, la bande-annonce ci-dessus.