CRITIQUE / AVIS FILM – "Une jeune fille qui va bien", premier long-métrage de Sandrine Kiberlain, avec Rebecca Marder, André Marcon et Anthony Bajon, plonge dans le quotidien d'une famille juive en 1942.
La vie d'une jeune fille juive en 1942
Après s’être essayée au court-métrage (Bonne figure), l’actrice Sandrine Kiberlain réalise son premier long-métrage, Une jeune fille qui va bien. Film aussi ambitieux que réaliste, il tente de répondre aux questions qui continuent de hanter ceux dont la vie des proches s'est arrêtée brutalement. Comment peut-on poursuivre ses rêves lorsqu’on est en guerre ? Comment continuer à croire en l’art et à la beauté quand ce que donnent à voir les hommes est si sournois et sombre ?
La réalisatrice, qui signe aussi le scénario, s’attache ainsi aux pas d’Irène (Rebecca Marder), une jeune parisienne de 19 ans. Solaire et animée par sa passion du théâtre, elle découvre la vie et les élans de son cœur. Elle est entourée d’une famille aimante et tout irait pour le mieux du monde si l’action ne se situait pas en mai 1942. Et si Irène et sa famille n’avaient pas désormais l'obligation de porter l’Étoile jaune, les désignant aux yeux d’autrui pour ce qu’ils ne sont pas seulement : Juifs. En une date et dès les premières images du film, le contexte est ainsi posé, net, sans fioritures.
Il ne saurait être reproché à Sandrine Kiberlain de montrer à l’écran une énième fiction sur le sort des familles juives contraintes par le gouvernement français pendant la Seconde guerre mondiale. Bien au contraire, on ne peut que la remercier de faire pénétrer le spectateur, par le prisme du quotidien et du regard de son héroïne, dans l’intimité de sa famille. Car la façon dont ces héros ordinaires font face aux multiples empêchements et interdictions, chacun à leur manière, est bouleversante.
Le père d’Irène, André (André Marcon, comme toujours formidable) accueille ainsi avec inquiétude l’absurdité et l’amplitude des mesures anti-juives, sous l'aile de Josiane (Florence Viala), sa voisine bienveillante. La grand-mère maternelle d’Irène, Marceline (Françoise Widhoff), se rebelle à ces contraintes grâce à son humour décapant et pessimiste. Le frère aîné d’Irène, Igor (Anthony Bajon), attend naïvement que son amoureuse non juive comprenne sa situation. Quant à Irène, elle espère, elle apprend, elle vit le plus joyeusement possible et découvre l’amour auprès de Jacques (Cyril Metzger). Même si son corps la lâche parfois, lui rappelant au travers de ses malaises la gravité de la situation.
La certitude de l'inexorable
Leur volonté commune de continuer à vivre malgré tout, sans pour autant faire semblant mais espérer que le pire ne soit pas à venir, étreint le cœur. Car la force du film tient évidemment au fait que nous, spectateurs qui connaissons l’histoire, supposons ce qu'il va leur arriver après cette première chape de plomb des contraintes. Cette certitude de l’inexorable n’est jamais remise en question par la réalisatrice et ni le doute, ni l’espoir ne sont permis. La seule question que la réalisatrice semble autoriser au spectateur à se poser est : quand ?
Mais entretemps, Sandrine Kiberlain parvient remarquablement à rendre attachants les membres de cette famille (un peu moins Igor, qui manque d’aspérités), au sein de laquelle circulent amour et respect. De la mère d’Irène, on ne saura rien, car personne ne l’évoque jamais, mais son absence et son influence sont perceptibles par petites touches subtiles. Rares sont les films qui transcendent à ce point l’amour familial, donnant à ce point l’impression au spectateur d'en être comme un membre à part entière.
Leur petit appartement, havre de paix, de légèreté et de tendresse contrastant avec le chaos extérieur. Il se révèle un cocon où s'expriment dans des échanges complices et libres art, jeux de théâtre et de musique. Chaque relation que père, grand-mère, frère et fille entretient les uns avec les autres est émouvante de vérité et de générosité. Et puis, la guerre sort peu à peu du hors champs jusqu’à finalement occuper tout le champs. Jusqu’à une scène finale glaçante et un échange de regards poignant avec l’amie Viviane (India Hair), qui reste encore longtemps dans les mémoires.
Quand on pense à Sandrine Kiberlain l’actrice, c’est souvent la délicatesse, la subtilité, la justesse et la pudeur de son jeu qui la définissent. Rien de surprenant à ce que ces qualificatifs la définissent aussi en tant que réalisatrice, Car elle tient brillamment son histoire de bout en bout et donne à réfléchir sur la noirceur de l’âme humaine. Une jeune fille qui va bien se révèle donc un film qui imprime indéniablement la rétine et revient sur une période honteuse dont il faut, par tous les moyens, continuer à parler, pour ne jamais oublier. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si le film sort la veille de la Journée Internationale à la mémoire des victimes de la Shoah, date anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.
Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, en salle le 26 janvier 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.