CRITIQUE / AVIS FILM - Karin Viard et Alex Lutz incarnent deux inconnus qui se disputent avant de coucher ensemble quelques secondes plus tard et de ne plus réussir à se quitter dans "Une nuit". Un drame romantique qui repose entièrement sur l'alchimie entre ses acteurs, parfaits et toujours justes.
Une nuit : l'amour après les insultes
Un soir, deux inconnus s'écharpent bruyamment dans le métro parisien et n'hésitent pas à en faire des caisses face aux regards amusés des autres passagers de la rame. Leurs sourires en coin révèlent très vite une attirance réciproque et quelques instants plus tard, ils se retrouvent à faire l'amour derrière le rideau d'un Photomaton. Plus les minutes passent, plus l'envie de rester ensemble grandit.
Pendant toute une nuit, ils vont errer dans les rues de Paris et refaire le monde, se dévoiler et avouer certains secrets qu'ils n'avaient jamais osé divulguer, y compris à leurs conjoints respectifs. Leurs échanges provoquent beaucoup de rires, mais aussi des moments de tristesse et de tendresse.
La structure narrative du long-métrage, résumée dans son titre, n'est pas originale et inédite. En 2012, Roschdy Zem portait d'ailleurs déjà un film intitulé Une nuit, dans lequel il incarnait un policier de la brigade mondaine qui arpentait les couloirs de différents établissements parisiens. Ici, l'ambiance est nettement différente, le drame romantique se déroulant majoritairement dans des rues et sur des quais déserts, du moins dans la première partie, donnant l'impression que ces deux inconnus sont quasiment seuls dans la ville.
Ne cherchant pas à masquer son économie de moyens, Une nuit se focalise davantage sur les dialogues que sur les différents lieux et les mouvements, sur le rythme des mots plutôt que sur celui du montage. La réalisation paraît ainsi simple sans pour autant être paresseuse, puisque le long-métrage réussit à raconter deux vies sans jamais réellement plonger le spectateur dans ces dernières.
Mon inconnu(e)
Le film représente une parenthèse dans le quotidien de ces Parisiens qui traversent tous deux une crise existentielle. Leurs conversations et leurs interrogations vis-à-vis de l'autre les aident au fil des heures à fendre l'armure et à s'accepter.
Après un débat léger sur des termes comme "alchimie" et "disponibilité" viennent les véritables remises en question. Celles qu'il est parfois possible de confier à un inconnu au cours d'une expérience marquante ou intense mais qu'il paraîtrait presque inutile de partager à ses proches, tant la routine et le temps finissent par laisser penser qu'elles sont anodines ou inintéressantes.
Karin Viard et Alex Lutz sont aussi à l'aise pour s'échanger des vannes avec un débit impressionnant que pour rassurer leur partenaire improvisé lorsque sa fragilité et ses doutes prennent le dessus. Ce que le long-métrage parvient à retranscrire, c'est justement la vitesse à laquelle des émotions contradictoires peuvent s'enchaîner sur un laps de temps aussi court, en grande partie grâce à leurs interprétations. Sans eux, ce film qu'ils ont écrit ensemble et qu'Alex Lutz met en scène n'aurait évidemment pas la même saveur. Il vaut avant tout pour leur jeu, pour leur ping-pong verbal qui laisse ensuite place à des étreintes poignantes.
Une intrigue prévisible mais touchante
Une nuit souffre malheureusement d'un twist qui n'en est pas vraiment un puisque la réalisation et les dialogues donnent régulièrement des pistes sur l'issue de cette rencontre éphémère. Si ces révélations sont touchantes, elles sont hélas un peu trop soulignées dans le dernier acte. Le final éclipse la pudeur dont les personnages faisaient preuve jusqu'ici et accentue le côté mélodramatique du long-métrage, dont il n'avait pas besoin pour susciter l'émotion.
C'est d'autant plus dommage que la conclusion arrive après plusieurs moments suspendus souvent amusants et parfois poétiques, à l'image d'une scène où le tandem croise un cheval égaré dans un bois, alors que la nuit touche presque à sa fin.
Quelques minutes plus tard, le lever du soleil et l'apparition des badauds viennent sonner les adieux entre le public et ces personnages. Si l'ultime séquence n'a pas la justesse des premiers instants, elle crée malgré tout l'espoir que ces deux inconnus pourront continuer de rire et de s'émouvoir, tout en donnant le sentiment au spectateur qu'il les quitte en ayant pris le temps de les connaître et de s'attacher à eux.
Une nuit d'Alex Lutz, en salles le 5 juillet 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film a été présenté au 76e Festival de Cannes en clôture d'Un Certain Regard.