CRITIQUE / AVIS FILM - Annoncé depuis 2016, il aura fallu attendre trois ans et une présentation durant le 72e festival de Cannes pour découvrir "Une vie cachée", le dixième long-métrage de Terrence Malick, biopic sur un objecteur de conscience autrichien durant la Seconde Guerre mondiale.
Depuis 2011 avec The Tree of Life (Palme d'or à Cannes) Terrence Malick a débuté un virage dans sa carrière. S'éloignant de plus en plus de récits classiques pour offrir des œuvres plus mystiques dans lesquelles le cinéaste développe une pensée et des questionnements philosophico-religieux. Cela donna lieu à l'un des plus grands films de la décennie avec The Tree of Life, avant que la trilogie A la merveille / Knight of Cups / Song to Songs ne vienne scinder les avis sur le réalisateur. Certains y voyant toujours des films passionnants, quand d'autres s'agacent de l’auto-parodie proposée sous fond d’esthétique Instagram. La vitesse à laquelle Malick sort ses derniers longs-métrages donne également un sentiment de va-vite pour un réalisateur qui a mis vingt ans entre son second et son troisième film, le sublime La Ligne rouge. Comme si le temps de réflexion, de gestation lui manquait.
Pourtant avec Une vie cachée, son dixième long-métrage, Malick a tout pour se réconcilier avec ses détracteurs. Revenant à une écriture plus traditionnelle, il s'attaque à un biopic sur Franz Jägerstätter, un objecteur de conscience autrichien qui refusa de combattre pour le Troisième Reich durant la Seconde Guerre mondiale et fut emprisonné avant d'être condamné à mort en 1943.
Une réflexion universelle et humaniste
On découvre l'homme dans un petit village dans les montagnes avec sa femme et ses trois enfants. Leur vie est paisible et Malick retrouve immédiatement la grâce de The Tree of Life en s'appuyant sur les valeurs familiales et en prônant un retour de l'homme à la nature. Fidèle à lui-même, il livre d'innombrables plans majestueux, tantôt caméra à l'épaule avançant en contre-plongée sur le visage des acteurs, tantôt en plan large pour capter les décors naturels qui l'entourent. Une beauté d'images obtenue par la présence du directeur de la photographie Jörg Widmer, qui s'éloigne malgré tout légèrement de la patte d'Emmanuel Lubezki (fidèle de Malick). Une imagerie un peu plus lisse, qui manque parfois de matière pour mener Une vie cachée vers le sublime. Un détail qui n'empêche pas de plonger dans le film grâce à une avancée relativement simple d'un récit malgré tout d'une grande richesse.
Car après s'être concentré sur la famille et l'amour qui l'unit, place au questionnement sur la guerre. Le cinéaste offre un point de vue quasiment inédit en montrant un soldat prêt à combattre pour l'Allemagne, avant de prendre conscience de l'horreur qui s'annonce. Questionnant alors son propre camp, ne sachant plus qui sont les vrais méchants. Malick poursuit alors ses réflexions sur la religion, sur la croyance et la foi, avant de trouver dans la montée du racisme dans ce village - et dans le rejet que subira la famille de Franz suite à sa décision -, un lien évident avec l'époque actuelle. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le réalisateur tourne en partie en anglais et fasse le choix de ne pas traduire (sous-titrer) les parties en allemand. Une manière sans doute de lier ce récit historique à quelque chose de plus universel, ou du moins personnel au cinéaste. Il est évident aussi que les thématiques qui ressortent de cette affaire Franz Jägerstätter sont étroitement liées à la pensée de Terrence Malick, jusque dans son regard sur la mort et l'espoir d'un meilleur futur. Dans un dernier acte, le réalisateur fait exploser l'émotion en montrant l'humain puiser dans ses dernières ressources pour rester fidèle à son idéologie et ne pas céder à la barbarie. Un final bouleversant qui conclut à la merveille la puissance réflexive du cinéaste.
Une vie cachée de Terrence Malick, présenté à Cannes 2019, en salle le 11 décembre 2019. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.