CRITIQUE FILM- "Vaurien" offre un huis clos saisissant et brosse le portrait d’un homme désespéré qui prend en otage usagers et employés d’une agence Pôle Emploi.
Le comédien Mehdi Senoussi réalise son premier film Vaurien et interprète lui-même le rôle principal de Red, chômeur qui vient d’être radié de Pôle Emploi. Il donne à voir de façon assez extrême ce qu’un homme acculé, qui semble n’avoir plus rien à perdre, peut être amené à faire. Et de quelle manière le désespoir de n’être ni reconnu, ni aidé dans une recherche d’emploi légitime malgré de hautes études peut déstabiliser l’homme le plus équilibré. Car on le sait bien, la frustration mène au ressentiment, puis à la colère et parfois à la violence. Vaurien montre cette Administration hermétique à la détresse humaine, qui se cache derrière ses procédures et la réglementation, et cela fait décidément froid dans le dos. David/Red ne peut gagner contre Goliath/Pôle Emploi sur son terrain. Alors Red va basculer et employer les grands moyens, prenant en l’occurrence des personnes en otage dans son agence Pôle Emploi.
La spirale infernale d'un chômeur en fin de droits
Mehdi Senoussi et ses deux co-scénaristes Akim Sakref et Haris Cheguettine déroulent implacablement et de façon très réaliste la mécanique de surenchère de cette prise d’otages. Celle-ci est inspirante au cinéma, surtout lorsqu'il s'agit de défendre une cause et de se faire entendre. On pense ainsi récemment à Money Monster. Mais c’est une première au Pôle Emploi. La réussite de Vaurien, c’est qu’il se garde bien de choisir un camp et de s’acharner sur des responsables. Il dénonce surtout un système déshumanisé, à la manière de Ken Loach dans Moi, Daniel Blake ou de Stéphane Brizé dans En guerre.
Le film fait en sorte que le spectateur ressente de l'empathie envers la plupart des personnages, à tour de rôle. Avec Red, évidemment, on ressent la peur liée à sa prise de risque et à ses propres limites qu’il déplace sans cesse. Son masque ne cache pas seulement son visage, mais aussi la honte d’en être arrivé là. Puis, avec le directeur de l’agence, le conseiller de Red et leurs collègues, qui ont peur car ils ne reconnaissent pas en cet homme déterminé avec un flingue à la main la personne qu’ils ont accompagné pendant toutes ces années. Le film montre d’ailleurs très bien la part d’humanité de ces gens qui tentent de faire leur travail, tout en étant eux-mêmes broyés par le système et le manque de moyens.
Enfin, le spectateur est évidemment empathique avec les usagers présents ce jour-là. Aux côtés des otages, on ressent la peur liée à l’inconnu dans lequel les embarque Red. Mais aussi, en plein syndrome de Stockholm, on n’échappe pas à leur propre compassion, voire à leur admiration envers cet homme qui rencontre les mêmes problèmes qu’eux et qui ose agir et riposter. Seules les remarques tantôt sages, tantôt ironiques, tantôt agressives de la part de Raymond (Carlo Brandt), personnage pas très sympathique et sorte d’oiseau de mauvais augure, laissent le spectateur de marbre.
Alors certes, on peut reprocher au film son côté check list exhaustive au possible des événements attendus dans ce type de film (flingue, bombe, rançon, flics, élus) et des personnages un peu trop clichés (la maman, la râleuse, le geek, le lâche, le dragueur, le malade, la maligne, etc..). De même, le rendu à l'image rappelle par certains côtés un téléfilm un peu vieillot. Mais le réalisateur se rattrape grâce à deux procédés judicieux : il use à bon escient de flashbacks, qui permettent de comprendre la spirale infernale dans laquelle s’est retrouvé Red. Puis, il fait intervenir deux comédiens peu visibles à l’écran mais dont les voix emblématiques, reconnaissables entre toutes, ont un fort impact sur le déroulé du scénario. Ainsi, Romane Bohringer interprète Max, la journaliste radio à qui Red demande à parler en direct, et Pascal Elbé en flic négociateur.
Mais surtout, Vaurien maintient le suspense et tient véritablement le spectateur en haleine, le menant sur de fausses pistes dignes d’un bon suspense américain, jusqu’à la toute fin surprenante. En espérant que Vaurien ne donne pas à certains de mauvaises idées, ce thriller social a aussi le mérite de faire réfléchir sur les effets de la gestion déshumanisée des chômeurs en France et les risques d'une possible descente aux enfers s'ils ne retrouvent pas de travail.
Vaurien de Mehdi Senoussi, en salle le 19 septembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce