Victor et Célia : la vie comme elle vient

Victor et Célia : la vie comme elle vient

CRITIQUE / AVIS FILM - Arthur Dupont et Alice Belaïdi sont à leur meilleur dans cette comédie sociale et sentimentale de Pierre Jolivet. A 66 ans, le réalisateur de "Fred" et de "Ma petite entreprise" n'a rien perdu de son talent pour faire d'une petite histoire un très bon film.

La modestie qui transpire de Victor et Célia, et plus largement de la filmographie de Pierre Jolivet, n’est pas une posture. Le réalisateur entretient en effet un rapport unique au cinéma, avec des films connus pour leur succès populaire et critique. Ce succès s’appuie sur une forme de doux militantisme, un regard sur la société qui est franc, digne, à hauteur des situations ordinaires qu’il met en scène.

Après Les hommes du feu en 2017, passé inaperçu avec mois de 100 000 entrées, il propose avec Victor et Célia une comédie sentimentale contrainte dans un environnement social réaliste et modeste. Ou serait-ce l’inverse ?

Filmer la vie comme elle est

Pierre Jolivet a commencé avec son humoriste de frère Marc, en montant en 1968 des spectacles dans des usines en grève. A partir de 1980, il devient un collaborateur très proche de Luc Besson, joue dans Le Dernier combat, puis co-écrit Subway, jusqu’à ce que la collaboration s’arrête avec fracas. Rétrospectivement, le parcours semble logique et cohérent, tant Pierre Jolivet se montre performant dans un cinéma réaliste et social, loin des productions spectaculaires et des grandes intentions de ses confrères.

Victor (Arthur Dupont), la petite trentaine et coiffeur dans un salon, se lance avec son meilleur ami Ben, coiffeur aussi, dans leur propre petite entreprise. A peine les statuts déposés, Ben disparaît. Comment va réagir Victor face à son comptable et ami Max (Bénabar), et face à ses créanciers ? Abandonner est une option vite écartée, et il décide de renouer le contact avec Célia (Alice Belaïdi), ex petite amie rencontrée à l’école de coiffure. Celle-ci, d’abord réticente puisque consciente des risques professionnels et personnels, finit par accepter…

Célia, un personnage réaliste et solaire

Victor est nonchalant, souriant, il fonce tête baissée et réfléchit après. Célia est, d’abord, plus réservée, elle subit un patron toxique dans le salon qui l’emploie, et s’occupe beaucoup de sa grand-mère, pour laquelle elle épargne tout ce qu’elle peut. Entre les deux, autant les personnages que les acteurs, l’alchimie est immédiate. C’est au rythme de « Oh » de Micky Green, « leur » chanson du temps de leur ancienne relation, que Victor veut avancer, quand Célia veut le retenir.

On devrait s’étonner d’être surpris par la qualité du jeu d’Alice Belaïdi. Son intensité est rare, parce que constamment disponible. Plus affectée que Victor par leurs mésaventures, elle peut d’une seconde à l’autre passer de la légèreté à la gravité avec aisance. L'écriture du film, si elle présente en Victor un homme "moyen", une figure "modeste" donc, implique beaucoup plus de personnalité dans Célia, et certaines de ses lignes vont bien au-delà des enjeux du film.

Elle est amoureuse, patronne en devenir, petite-fille attentive, elle est une femme à la fois fragile et fatale. Pierre Jolivet aime filmer les visages et les corps, leurs mouvements, leurs changements de direction, et le visage de l’actrice se prête parfaitement à cette mise en scène. On l’avait aperçu, déjà, tout particulièrement dans Le Bureau des légendes et Hippocrate, mais c’est maintenant une certitude : Alice Belaïdi a tout d'une grande actrice.

La mécanique fine du double embrayage

Sans le proclamer, Pierre Jolivet réalise ainsi un très beau portrait de femme. Sans le revendiquer, il peint avec précision un quotidien banal et difficile, celui d’employés décidés à se mettre à leur compte. Mais un compte ordinaire, avec des objectifs raisonnables, des joies simples, des amis avec leurs défauts, des galères qui font partie du jeu.

Avec Max, ami et pôle administratif de leur projet, ils vont naviguer dans les recoins tortueux de l’administration, embobiner gentiment un investisseur et, surtout, ils vont céder à leur amour renaissant. Un impair pour le business, des complications qui n’ont pas les mêmes conséquences pour chacun, et finalement un premier abandon de Célia.

Le film, relativement court, pourrait l’être encore plus. En effet, ayant réussi jusque là l’équilibre parfait de la comédie romantique et du drame social, Pierre Jolivet choisit de terminer son film sur sa composante comique, et ce choix pèse sur l’appréciation générale de Victor et Célia. Un happy end presque surréaliste, quand jusque-là le film ravissait par le réalisme de ses relations et de ses descriptions.

Même si les deux acteurs s’en montrent tout à fait capables, l’accroissement de l’enjeu sentimental tend paradoxalement à minimiser la profondeur des sentiments et des réflexions du couple, surtout dans le cas de Célia. C’est dommage, parce que le film a cette qualité qui aurait largement permis à ses personnages et à ses spectateurs de survivre à un échec de leur relation, et à un échec de leur projet de salon de coiffure. Cette belle émotion, exception française, était à portée de main, où à toute tristesse cette réponse suffit largement : « c’est la vie ».

 

Victor et Célia de Pierre Jolivet, en salle le 24 avril 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec "Victor et Célia", Pierre Jolivet réussit une jolie chronique contemporaine, mêlant comédie romantique et arguments sociaux. Presque parfait, mais le choix d'insister en conclusion sur un comique léger ternit un peu les sommets atteints par ce duo de brillants comédiens et la mise en scène experte du réalisateur.

Note spectateur : Sois le premier