CRITIQUE/AVIS FILM - "Vif-Argent", le premier film de Stéphane Batut, est aussi fascinant qu’attachant, à mi-chemin entre l’errance poétique et la déambulation fantastique. Avec Judith Chemla et Thimotée Robart, une révélation.
Pour ceux qui ont été confrontés au décès d’un proche, Vif-Argent sera sans nul un réconfortant baume au cœur. Car si les survivants savaient que les personnes aimées sont encore présentes et ne disparaissent pas tout de suite après leur trépas, et surtout n’affrontent pas seules la mort, peut-être seraient-ils rassurés ? Peut-être même parviendraient-ils à mieux accepter le vide définitif de l’absence ? C’est le propos du réalisateur Stéphane Batut et de ses coscénaristes Christine Dory et Fréréric Videau, qui s’attachent aux pas de Juste, un jeune homme qui vient de mourir et erre pendant un temps dans Paris. Il n’est nullement question ici de fantôme, d’esprit et encore moins de zombie, ni de prise de possession d’un corps par une âme naissante.
Pour Stéphane Batut, rencontré au Festival de La Rochelle Cinéma, « il ne s’agissait pas de décrire la vie après la mort d’une manière ésotérique, mais de parler de ce que c’est que de voir disparaître les personnes qu’on aime, qui naviguent un peu comme des passagers du monde du souvenir ». Bien sûr, il faudra que le spectateur fasse preuve d’ouverture d’esprit et se laisse happer sans retenue par cette ambiance particulière, bien ancrée dans le réel, et par son questionnement mi-fantastique mi-intime à propos de ce qui peut advenir après la mort.
Le réalisateur qualifie volontiers Vif-Argent « d’hybride : à la fois film qui joue avec les codes du genre mais s’en émancipe, mélodrame, fantastique et lyrique avec des moments de comédie ». On lui reconnaît d’ailleurs une certaine filiation avec la pointe de fantastique et la profondeur de réflexion des films de Serge Bozon ou de Noémie Lvovsky. Mais ce n’est sans doute pas un hasard, car Stéphane Batut est directeur de casting depuis 20 ans et a notamment opéré sur Camille redouble, Madame Hyde, mais aussi sur Gainsbourg (Vie héroïque), L’inconnu du Lac ou Mon roi.
Que se passe-t-il après la mort?
Après s’être essayé au documentaire, Stéphane Batut déboule donc avec une grande maîtrise dans le domaine fictionnel grâce à l’inspiration des histoires racontées par les acteurs rencontrés dans son métier. Il admet d’ailleurs que « faire appel au fantastique lui permet une grande liberté, comme celle de porter un masque et d'éviter par pudeur d'aller directement aux choses personnelles et réalistes ». C’est Thimotée Robart, dont la ressemblance avec son père l’acteur Jerôme Robart est frappante, qui prête ses traits à Juste pour son premier rôle. Lunaire et énigmatique à souhait, le jeune acteur porte brillamment Vif-Argent sur ses épaules et parvient très bien à donner envie au spectateur de faire ce petit bout de chemin avec lui, de lui faire confiance.
Alors on erre, complice à ses côtés, non comme une âme en peine, mais au gré des rencontres et un peu perdu quand même. Car Juste a oublié qui il était et d’où il venait, comme si le fait de mourir l’avait tout simplement réinitialisé. Comme s'il avait été reprogrammé à zéro dans son enveloppe charnelle. On comprend que Juste s’est vu octroyer un temps supplémentaire sur terre pour remplir une mission : aider ceux qui viennent de mourir à passer de l’autre côté, avant que ce soit son tour. Peut-être est-ce pour avoir le temps de mieux digérer l’information de sa propre mort, pour comprendre ce qui lui est arrivé ou pour se souvenir ?
Alors quand Agathe (Judith Chemla) reconnaît en lui Guillaume, l’homme qu’elle a aimé quelques années auparavant, Juste saisit ces retrouvailles dues au hasard (mais le hasard existe-t-il ?) et se lance à cœur et à corps perdus dans cette ultime histoire d’amour. Peut-être aussi dans l’idée de mieux connaître cet homme qu’il était et qui a suscité tant d’amour. Le souci, c’est que Juste est le plus souvent invisible aux humains et qu’Agathe ne le voit ni ne l’entend pas toujours. Elle croit qu’il est parti quand on le voit nu à l’écran. Elle est en colère contre lui quand, tout proche d’elle, il lui envoie pourtant des signes de sa présence. Ces moments sont émouvants et drôles à la fois.
Une magnifique scène montre Agathe en train de faire l’amour avec Juste, alors qu’il est invisible. Chorégraphiée par le réalisateur et sa directrice de photographie Céline Bozon, cette scène a été tournée en « motion control, effet spécial très contraignant pour Judith Chemla, qui s’est généreusement abandonnée ». Mais cet amour impossible fait parfois oublier à Juste sa mission, car il est de sa responsabilité de les mener à Kramartz, petite bonne femme qui ne paye pas de mine. Saadia Bentaïeb, déjà remarquable dans son rôle de juge dans Jusqu’à la garde, imprime encore ici un personnage puissant qui, malgré sa petite voix douce et compréhensive, est celle qui possède le pouvoir absolu de décider du moment du départ.
Continuer à vivre dans les souvenirs des vivants
Le film offre aussi des scènes d’une grande beauté qui serrent le cœur à propos du deuil et du manque éprouvé par les proches et par ceux qui tré (passent). Ce qui est très émouvant dans ce film d’une grande sensibilité, c’est indéniablement ce passage de l’autre côté, qui se fait dans les lieux des meilleurs souvenirs du défunt. Et parfois avec humour et tendresse. Vif-Argent ne traite pas de religion ni de règlements de comptes avant d'aller vers la lumière divine dont parlait la série Ghost Whisperer, et encore moins de faire vivre un défunt dans un lieu symbolique familial, comme dans L’arbre. Le film prend plutôt le parti audacieux de se pencher avec une grande délicatesse sur les actes manqués des personnes décédées, le pouvoir de l’amour et les souvenirs heureux dans lesquels les vivants peuvent continuer à les faire vivre. Mais surtout sur l’espoir, dont l’un des personnages de Vif-Argent dit « qu’il est la dernière chose qui meurt ».
Vif-Argent de Stéphane Batut, en salle le 28 août 2019 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.