Volontaire d'Hélène Fillières : chronique réaliste de l'impossible

Volontaire d'Hélène Fillières : chronique réaliste de l'impossible

CRITIQUE FILM - Diane Rouxel et Lambert Wilson incarnent avec un grand talent les protagonistes de Volontaire, à la fois exercice contemplatif et conte tragique de la réalisatrice Hélène Fillières.

A propos du célèbre roman Lord Jim (1899) et de son auteur Joseph Conrad, l’écrivain et critique français Ramon Fernandez écrivait :

Peu d’écrivains ont aussi loyalement, aussi continûment, laissé la parole à la réalité sensible pour ne la lui reprendre que rarement, et avec une prudence infinie, et en demeurant sous l’influence immédiate de son mystère.

Cette réalité sensible, qui excède les mots par sa puissance et son mystère, est le sujet du nouveau film d’Hélène Fillières, Volontaire. Cette réalité sensible est aussi l'outil même de la réalisatrice. D’ailleurs, ce roman apparaît à deux reprises dans le film, à deux moments différents qui symbolisent un douloureux décalage. On peut noter dans un coin de sa tête que Joseph Conrad est aussi l’auteur d’Au cœur des ténèbres. Rien de moins que le récit sur lequel Coppola a construit Apocalypse Now

Mais Volontaire n’est pas un film de guerre. Ni même un film sur l'armée. Annoncé comme un « portrait de femme », il l’est certainement. Mais ce serait négliger sa profondeur et sa complexité que d’en rester là. De peu de mots, dans une ambiance contemplative plutôt réussie, Volontaire est bien plus.

Les vagues intérieures

Dans ce deuxième long-métrage de l’actrice-réalisatrice, Laure Baer (Diane Rouxel), jeune femme brillante mais indécise, surprend son entourage en s’engageant dans la Marine Nationale. A l’Ecole des Fusiliers Marins de Lorient, elle effectue sa formation aux côtés du commandant Rivière (Lambert Wilson). Elle est intelligente et déterminée à réussir. Lui est un officier aguerri et mystérieux, rivé à son devoir. Entre eux va se développer une relation constituée de regards et de non-dits, d’un sourd chaos où se mêlent des attirances troubles. Dans l'armée, seuls le devoir et la réserve sont les attitudes convenables.

La jeune aspirante Baer va découvrir dans le commandant Rivière une diversité de figures. La paternelle, l’autoritaire, ainsi que la figure désirée et désirante. Elle va aussi se découvrir comme un pur être sensible. Car dans une armée moderne qui affirme, « il n’y a pas d’hommes ou de femmes, seulement des militaires », l’enjeu doit se situer bien au-delà de l’acceptation d’une jeune femme par une communauté d’hommes.

Volontaire, soufflé par le duo Rouxel – Wilson

Dans son apprentissage, Laure expérimentera et souffrira. Elle apprendra ce qu’est le devoir, le respect d’une institution, la réserve nécessaire à son métier. Ainsi que la tragédie de ce qui ne peut, ne doit pas, alors, être dit. Des gestes simples, des regards au travers d’une vitre ou d’un rétroviseur, des réponses trop courtes : bien peu pour la jeune femme dont les yeux bleus dévorent le monde. Elle va s'affirmer et revêtir une armure. Le commandant Rivière, à sa croisée, prendra l'autre chemin, inverse. Et comme l’indiquent le regard de l'actrice, ainsi que les silences charismatiques de Lambert Wilson, la mer et ses tempêtes sont ici uniquement intérieures. Un joli paradoxe pour un drame qui prend place dans la Marine Nationale. Toute en retenue , la jeune Diane Rouxel ensorcelle et livre ici pour son premier rôle principal une performance très réussie.

Les interprétations inspirées de tous les acteurs font par moments écran à la particularité de leur environnement. Le film est en effet si efficacement porté par ses interprètes qu’on en oublierait presque l’élégante mais radicale mise en scène d’Hélène Fillières, avec ses temps forts et ses temps faibles. Elle inscrit avec réussite l'apparente froideur de son récit dans des duretés. D'un côté, celle des lignes désertes et venteuses de la côte bretonne. De l'autre, celle des lignes brutalistes et fonctionnelles des bâtiments de la Marine Nationale. Ici, scénario et photographie font ensemble la part belle à des nuances de bleu, vert et gris, toutes couleurs d'uniformes.

Comme le dépliera la très réussie scène finale, le drame humain représenté est celui de la condition humaine et son cours tragique. A cet égard, les intentions de l’auteure sont admirables.

La trop froide beauté de l'impossible

Mais dans sa facture, cette histoire ne satisfait pas totalement à ses ambitions. La crudité, ainsi que les nombreux non-dits du récit, confinent par moments à une aridité dont finit par souffrir la tension du film.

Terriblement épuré, Volontaire aurait–il gagné à être un petit peu plus explicite pour colorer plus précisément les troubles de ses protagonistes ? Les rares et courts moments où les armures se fendent ne réussissent pas toujours à faire contrepoint à la sécheresse du récit. Volontaires et stoïques jusqu’au bout, Rivière et Baer en bons marins maintiendront fermement le cap. Aux frontières de ce qui serait pour chacun une folie différente, ils s’arrêteront, au bout d’une heure quarante et une d’exploration. C’est trop court, et c’est en même temps une belle performance d’avoir entraperçu ces profondeurs en si peu de temps.

Comme si la main du récit était trop proche des tourments de ses protagonistes, le film ne parvient pas à livrer toute son émotion. Inachevé parce que désespérément retenu, Volontaire est pour cette même raison très beau.

 

Volontaire d'Hélène Fillières, en salle le 6 juin 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Sur la bonne voie

Retenu à l'extrême, "Volontaire" est un beau film à l'élan contemplatif et tragique. Un élan initial qui, malgré une écriture soignée ainsi que des interprètes justes et talentueux, s'essouffle quelque peu par une réserve excessive.

Sur la bonne voie

Note spectateur : Sois le premier