CRITIQUE / AVIS FILM - Dans "Vortex", Dario Argento et Françoise Lebrun forment un couple qui sombre dans la déchéance. Reposant sur un parti pris audacieux, le nouveau film de Gaspar Noé est-il aussi fort qu’"Irréversible" ou "Enter the Void" ?
Vortex : l’amour selon Gaspar Noé
Vortex s’ouvre sur une superbe scène aérienne, dans laquelle un vieux couple profite d’un moment à deux sur le balcon d’un immeuble parisien. "La vie est un rêve dans un rêve", affirme l’homme, incarné par le maître du giallo Dario Argento, à la femme interprétée par Françoise Lebrun. Une introduction onirique, révélatrice sur la relation entre ces personnages. Elle laisse ensuite place à la réalité qui, si elle n’est pas dénuée de poésie, impose le film de Gaspar Noé comme une nouvelle proposition radicale.
Jusqu’au-boutiste, Vortex l’est notamment dans sa forme. Le long-métrage opte pour le split screen afin de suivre ses deux protagonistes. Une scission de l’écran qui dure jusqu’à l’apparition du générique de fin. Ce parti pris audacieux permet d’abord de révéler le quotidien et les habitudes touchantes de ces amoureux sur le déclin.
Un déclin qui arrive bien vite dans le récit. Tandis que la femme écume les commerces de son quartier sans véritable objectif, l’homme s’inquiète et se met à la chercher. Alzheimer n’est jamais nommé dans le long-métrage mais la maladie vient s’immiscer dès les premières minutes dans les cadres sans prévenir, avant de les envahir progressivement. En cela, Vortex n’est pas sans rappeler Amour de Michael Haneke, dans lequel Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant sombraient ensemble, à l’image de ces deux personnages.
L’impuissance pour violence
Vortex commence par jouer sur la lenteur rassurante du quotidien, avant de rendre cette dernière insoutenable. Le cinéaste suit la plupart du temps ses personnages dans leur appartement parisien chargé de détails qui finissent par devenir étouffants. La multitude d’objets, de livres et de vêtements qui surchargent l’habitation donne d’abord au spectateur l’impression de contempler des souvenirs, avant qu’ils ne se transforment en reliques dépossédées à mesure que leurs propriétaires deviennent de plus en plus séniles.
Dans les récents film de Gaspar Noé, les corps étaient dans une sorte de mouvement constant, parfois effréné. C’est tout l’inverse dans Vortex, où l’immobilité devient synonyme de décrépitude et d’impuissance. La paralysie grandissante du couple, qu’elle soit physique ou intellectuelle, s’avère particulièrement violente, comme l’était la frénésie de Climax mais aussi du moyen-métrage Lux Aeterna.
Une expérience viscérale
Vortex est ponctué de plusieurs scènes d’agonie déchirantes, au cours desquelles les sentiments resurgissent. Françoise Lebrun, Dario Argento et le surprenant Alex Lutz qui prête ses traits à leur fils - un toxicomane qui tente de veiller sur ses parents malgré ses démons - offrent par exemple l’une des séquences les plus émouvantes vues cette année lorsque la femme, au cours d’un accès de lucidité, assure qu’elle aimerait ne plus être un fardeau.
Des douleurs et des ressentis universels que Gaspar Noé parvient à capter et sublimer avec son dispositif. La beauté de Vortex est également de s’imposer comme le contre-pied de Love, où les romances finalement courtes des jeunes protagonistes volaient en éclats. Ici, la moindre parcelle d’amour est perceptible jusqu’au dernier souffle. La colère, l’incompréhension ou la tromperie n’effacent pas l’envie d’être ensemble, ce qui rend la conclusion magnifique, évoquant la phrase sur les rêves et laissant penser que les êtres deviennent des songes à jamais liés. Comme toujours avec le cinéaste, le spectateur ressort épuisé de Vortex, convaincu d’avoir vu quelque chose de puissant et d’inoubliable.
Vortex de Gaspar Noé, en salle le 13 avril 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.