CRITIQUE / AVIS FILM - "Vous êtes jeunes, vous êtes beaux » est un film audacieux sur les dérives possibles de la fin de vie des personnes âgées, magnifiquement interprété par Gérard Darmon et Josiane Balasko.
Donner à voir à l’écran une intrigue ancrée dans la réalité et qui bouscule les esprits et la morale n’est finalement pas si fréquent. Prendre le risque de montrer des personnages sans espoir, sans pour autant en faire des victimes, est même assez rare. Enfin, voir des acteurs et actrices accepter le pari de l’apparence sans fard et de la vérité crue l’est tout autant. C’est le choix courageux fait par le réalisateur Franchin Don, qui a adapté avec Tarik Noui le roman de ce dernier, « À nos pères ». Et Vous êtes jeunes, vous êtes beaux est plutôt réussi, grâce à l’originalité de son scénario, au savoureux parcours de ses personnages attachants et à la parfaite interprétation des acteurs principaux.
Bien sûr, ce premier long métrage n’est pas exempt de défauts : ainsi le parti pris scénaristique à la toute fin pousse le bouchon un peu trop loin et les cadrages de scènes sont un peu trop expérimentaux. Mais pour le reste, chapeau bas ! On reste en effet scotché, du début à la fin, aux pas de Lucius, vieil homme au seuil de sa vie, qui se voit proposer des combats clandestins dans une arène du type Fight Club du 3ème âge.
Vous êtes jeunes, vous êtes beaux aborde d’ailleurs subtilement la précarité dans laquelle vivent les personnes âgées et Lucius n’est pas épargné, avec son petit appartement et sa vie assez misérable. Qu’aurait-il à perdre à ne pas accepter la proposition que lui fait Lahire (Vincent Winterhalter), sinon sa santé ou sa dignité ? Qu’aurait-il à gagner si ce n’est un peu d’argent et l’ultime envie de se sentir encore vivant ?
La vie est un combat, jusqu'au bout.
Les combats ont lieu dans le sous-sol glauque d’une boite de nuit dirigée par Costa (Cyrille Eldin). Son public fin connaisseur, avide de chair fraîche, se sustente et s'enivre, fait des paris. Un Monsieur Loyal (Denis Lavant), aux yeux dégoulinant de plaisir et au discours grinçant, harangue les spectateurs motivés par ces corps en ruine et en sursis qui combattent au péril de leur vie. Les dialogues claquent, tout comme les coups que se donnent les vieux.
Lucius, c’est Gérard Darmon, bluffant de justesse et terriblement touchant dans la descente aux enfers choisie par son personnage. Les yeux las, les rides creusant son visage et le corps flasque quitté par les muscles ne cachent rien du poids de ses années. On ne le voit jamais combattre mais c’est son regard lucide qui guide le spectateur dans les entrailles de ces jeux du cirque modernes. Ses retrouvailles avec son vieil ami Martin (Patrick Bouchitey) lui font entrevoir la deuxième vie tout autant pathétique que celui qui est devenu Aldo pour l’arène s’est offert grâce à cet argent durement gagné: drogue, alcool, viagra et petites nanas.
Josiane Balasko, qui interprète Mona, la bonne amie de Lucius, n’est pas en reste. Sans maquillage, les cheveux gris encadrant un visage marqué par les soucis et l’avenir incertain, le corps lourd qui se déplace lentement, elle aussi a donné de sa personne. Mona et Lucius se tiennent compagnie, se montrent bienveillants l’un envers l’autre, se donnent un peu de plaisir et d’affection. Le réalisateur fait dire à Mona une magnifique phrase aussi émouvante que glaçante, et qui résume le peu d’espoir dont ils disposent encore : « combien de battements reste-t-il à nos cœurs ? ».
Car leur vie est sur le point de changer : Lucius est malade et va devoir bientôt quitter son appartement pour aller dans une maison de santé. Et Mona attend que ses enfants l’accueillent et lui aménagent une chambre dans la maison de son enfance. Vous êtes jeunes, vous êtes beaux crée une grande empathie envers Lucius, Aldo et Mona, dont profitent sans vergogne les personnages mafieux comme Lahire, Monsieur Loyal ou Costa. Franchin Don réalise un beau travail sur la symbolique de la lumière, aussi épurée que la vie de Lucius : celle des néons de sa vie cachée et celle des rayons du soleil de sa vraie vie. Le film offre de fait une prise de conscience assez brutale mais nécessaire sur la façon dont la société française envisage la fin de vie des seniors. Vous êtes jeunes vous êtes beaux se révèle donc un film quasi hypnotique et très émouvant, qui célèbre brillamment la beauté de l’âme et du cœur plutôt que celle des corps.
Vous êtes jeunes, vous êtes beaux de Franchin Don, en salle le 2 octobre 2019 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.