CRITIQUES / AVIS FILM – Le réalisateur de « It Comes at Night » délaisse le fantastique pour le pur drame avec « Waves ». Un film avec Kelvin Harrison, Sterling K. Brown (This is Us) et Alexa Demie (Euphoria) sur une famille détruite après une tragédie et qui va devoir se reconstruire.
Dans une voiture, sur la route, deux jeunes chantent à tue-tête. Pour capter ce moment de joie et le sentiment de liberté partagé par le couple, la caméra de Trey Edward Shults fait des mouvements circulaires à l’intérieur du véhicule, ponctués par quelques rapprochements sur les visages des interprètes. En débutant quasiment Waves de la sorte, le réalisateur, remarqué en 2017 avec It Comes at Night, veut nous plonger immédiatement dans un quotidien agréable, mais capable de s’ébranler. Par des petits gestes du conducteur (conduite sans les mains, sans regarder la route, ou avec un pied sur la fenêtre) et en prenant la peine de positionner la voiture entre deux autres véhicules visibles, une inquiétude se fait naturellement ressentir. Le sentiment qu’une collision est proche.
Sauf que celle-ci n’arrivera pas. Du moins, pas à l’issue de ce passage. Tyler (le conducteur, joué par Kelvin Harrison), peut poursuivre sa journée au lycée, divisée entre cours anecdotiques et entraînements de lutte particulièrement rudes. Et à la fin de la journée, un retour au bercail dans une grande maison où l’attendent une mère aimante, une sœur un peu plus jeune, et un père exigeant. Dans sa première partie, Waves se concentre ainsi sur la dureté imposée par un patriarche à son fils, en quête de l’excellence.
Descente aux enfers et reconstruction familiale
Une pression mise sur les épaules d’un jeune garçon qui, in fine, se laissera submerger par une blessure à l’épaule. Le film semble alors vouloir questionner le rapport parent/enfant, en accentuant sur un homme qui, sous airs de bon père de famille, peut se montrer violent, dur et dominateur. Envers son fils comme envers sa femme, qu’il s’approprie en insistant sur le « ma femme », et qu'il rabaisse en disant que son business tient la route grâce à son argent. Sterling K. Brown (This is Us), qui interprète Ronald, offre là une très bonne prestation. Mettant extrêmement mal à l’aise d’un simple regard, tout en gardant la porte ouverte à une certaine fragilité – à la fin dans une très belle séquence avec sa fille.
Waves aurait alors pu se contenter d’une simple observation d’un cercle familial, en arborant le point de vue de l’enfant. Mais de peur sans doute de manquer d’originalité, et avec un manque de modestie, Trey Edward Shults rajoute des couches et des couches de pathos. En peu de temps, et suite à la blessure de Tyler, ce petit monde devenu bourgeois (intéressant pour une famille afro-américaine, rarement représentée de la sorte) va vite s’écrouler. Prise de médicaments, d’alcool et de drogues pour Tyler, qui voudrait oublier sa blessure et sa rupture avec Alexis (Alexa Demie), qu’il a été incapable de soutenir en apprenant sa grossesse. Le tout ponctué par une tragédie, alors prévisible et à la limite du cliché, enfonce le scénario dans le stéréotype d’un mauvais premier film.
Pourtant Trey Edward Shults n’en est pas à son premier essai, mais déjà à son troisième long-métrage. Difficile alors de pardonner une telle maladresse d’écriture. D’autant plus avec des choix de mise en scène clinquants. On a évoqué les mouvements circulaires de caméra, c’était sans compter sur le goût prononcé pour les néons. Un style visuel cohérent et fascinant dans des œuvres comme Spring Breakers, ou encore la récente série Euphoria (dans laquelle joue Alexa Demie justement), qui ici reste superficiel.
Enfin, en séparant son récit en deux parties bien définies (une avec Tyler, et une autre avec sa sœur) et en arborant une forme plus contemplative dans la seconde, le cinéaste trouve de vagues rapprochement avec The Place Beyond the Pines (ou Moonlight, également produit par A24), mais sans jamais en atteindre la grandeur, la profondeur, ni même l’émotion – en raison encore une fois d'une écriture laborieuse. Et ce n’est pas faute d’ajouter une multitude de thématiques sociétales : la nécessité de travailler plus quand on est noir en Amérique, la réappropriation des femmes de leur corps, une critique certaine du patriarcat… Des points intéressants, mais qui ne suffisent pas à sauver ce mélodrame fourre-tout mal maîtrisé.
Waves de Trey Edward Shults, en salle le 29 janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.