Avec "We blew it", l'historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret s'intéresse au Nouvel Hollywood et le met en parallèle avec les changements survenus aux Etats-Unis ces cinquante dernières années, de manière totalement passionnante.
« We blew it », ou « nous avons échoué » en français, est le constat que Peter Fonda fait lors du dernier feu de camp d’Easy Rider. Ce classique, inspiré de la Beat Generation, est représentatif des thématiques du Nouvel Hollywood. Le film de Dennis Hopper aborde, en effet, des sujets comme la désillusion, l’échec, mais également la volonté d’être libre. C’est également le cas d’œuvres charnières de l’époque, à l’image de Bonnie & Clyde et Le Canardeur.
Comment les Etats-Unis sont-ils passés de cette soif de liberté, palpable dans le cinéma du Nouvel Hollywood, à l’élection de Donald Trump ? C’est l'une des questions que se pose Jean-Baptiste Thoret, critique et spécialiste du cinéma américain, tout au long de son documentaire. Le réalisateur tente d’y apporter des réponses par plusieurs moyens.
Un road movie entraînant
Le premier, est celui de filmer les routes sans fin des Etats-Unis, de manière à évoquer la fascination qu’elles suscitaient chez la Beat Generation. Le somptueux dernier plan cristallise d’ailleurs parfaitement cette volonté. En effet, la conclusion laisse au spectateur le sentiment d’être avalé par l’asphalte, dont les symboliques n’ont cessé de nourrir le cinéma américain. Au-delà d’être un documentaire évoquant le road movie, We blew it appartient donc lui-même au genre.
Jean-Baptiste Thoret arpente les Etats-Unis et va à la rencontre de personnages profondément intéressants. L’attachement qu’il porte au cinéma du Nouvel Hollywood est totalement perceptible. Le réalisateur confronte, par exemple, le spectateur à l’immensité du paysage et au silence de certaines villes. En cela, il rappelle notamment les errances de Jack Nicholson dans les films de Bob Rafelson.
Lorsqu’il décide de poser sa caméra dans une ville, Jean-Baptiste Thoret laisse la parole à des inconnus ainsi qu’à des visages familiers. A travers les idéaux perdus qu’ils évoquent ou leurs convictions actuelles, ils révèlent en quoi les années 1960 continuent de les fasciner. Les conséquences de l’assassinat de JFK ouvrent par exemple le film de façon passionnante. Le spectateur comprenant immédiatement le choc générationnel que le meurtre du Président a représenté. Les rêves inachevés de Woodstock et la guerre du Vietnam sont deux autres événements majeurs évoqués dans le documentaire.
Ainsi, Jean-Baptiste Thoret questionne des vétérans, des militants mais également des cinéastes, acteurs et scénaristes. Sans jamais prétendre dresser une liste exhaustive des changements des Etats-Unis et de leurs raisons, le réalisateur réussit à nous faire comprendre comment ils ont impacté une génération. Thoret laisse s’exprimer ses participants sur les contextes historiques, économique, politique et géographique des Etats-Unis. Il parvient alors à donner des pistes de réflexion sur l’évolution du pays, mais également sur celle du cinéma américain.
Des changements majeurs dans le septième art hollywoodien
La place de l’art dans cette époque charnière est en effet l’un des axes centraux de We blew it. Le cinéma du Nouvel Hollywood avait l’ambition de s’adresser à toute une génération. Par la suite, des thèmes nettement plus autocentrés, sur la place de l’homme dans le monde, ont constitué le cœur du cinéma américain des années 1980. La déception et l’amertume sur cette évolution majeure se ressentent dans We blew it. Cependant, le documentaire ne remet absolument pas en cause la qualité des films qui succédèrent au Nouvel Hollywood. Seules les évolutions thématiques sont remises en question.
A travers leur témoignage, des auteurs comme Jerry Schatzberg, Michael Mann ou Tobe Hooper évoquent tous une certaine nostalgie vis-à-vis des années 1960. Cependant, les trois cinéastes ont toujours su remettre en question leur manière de faire du cinéma en fonction de l’époque qu’ils traversaient. C’est également ce que fait We blew it, qui offre lui aussi des perspectives prometteuses sur le cinéma de demain.
Avant que le blockbuster émerge, le Nouvel Hollywood a marqué au fer rouge le cinéma contemporain. Aujourd’hui encore, le cinéma des années 1960 continue de fasciner, presque autant que l’époque en elle-même. C’est en tout cas le sentiment que laisse We blew it avec le recul. La page du Nouvel Hollywood est tournée, mais son rayonnement n’est pas prêt de s’éteindre, comme le confirme ce documentaire passionnant et cohérent de bout en bout.
We blew it de Jean-Baptiste Thoret, en salle le 8 novembre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.