CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Les Bêtes du Sud sauvage", Benh Zeitlin reste en enfance et signe "Wendy". Avec ce nouveau conte initiatique, le réalisateur se réapproprie le mythe de Peter Pan.
Wendy : l’histoire des Darling
Personnages créés par J.M. Barrie au début du XXe siècle, Wendy et Peter Pan sont devenus des figures incontournables dans la culture populaire. Leur créateur ne cesse de réécrire leur histoire et rapidement, des comédies musicales voient le jour, puis des adaptations cinématographiques. La plus célèbre reste celle des studios Disney sortie en 1953, où le petit garçon est présenté avec davantage de tendresse que dans les premiers romans et pièces de théâtre de Barrie.
En 1991, Steven Spielberg se demande avec Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet à ce que Peter serait devenu dans le monde contemporain s’il avait grandi, oubliant le Pays Imaginaire et ses enfants perdus. Entre 1990 et 2004, Régis Loisel signe une bande dessinée violente et sombre sur Peter Pan. Une œuvre à l’opposé du film d’animation, qui se penche sur les origines du mythe avec une ambiance digne des romans de Charles Dickens. Joe Wright s’est lui aussi intéressé à ces origines avec Pan, qui dévoile la rencontre entre l’orphelin et Crochet ainsi que les débuts de leur amitié, avant qu’elle ne laisse place à leur légendaire rivalité.
Benh Zeitlin propose un nouveau regard sur ce récit universel avec Wendy. Et comme le rappelle l’héroïne, ce conte n’est pas celui de Peter. Le long-métrage débute au Darling’s Diner, un petit restaurant situé au bord d’une voie de chemin de fer, dans le sud des États-Unis. Une nuit, la jeune Wendy observe une ombre sauter de wagon en wagon sur une locomotive en mouvement. Répondant à l’appel de l’aventure, la petite fille embarque ses deux frères Douglas et James vers une destination inconnue.
Les gosses du Sud sauvage
Deuxième film de Benh Zeitlin, Wendy s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, Les Bêtes du Sud sauvage, lui aussi tourné en Louisiane. L’introduction où l’héroïne s’amuse sur la table du restaurant familial renvoie par exemple à la petite Hushpuppy triomphante du premier long-métrage. Les deux personnages partagent par ailleurs le même sens de la débrouillardise et s’éloignent d’une figure parentale pour grandir et surmonter des épreuves capitales.
Avec Wendy, Benh Zeitlin lorgne davantage vers le fantastique tout en optant à nouveau pour une approche naturaliste. Le Pays Imaginaire est un endroit vierge, quasiment dépouillé de toute construction et foulé par des enfants en perpétuel mouvement et en symbiose totale avec cet environnement. La "Mère" qui les protège et que les adultes errant sur l’île volcanique tentent de capturer pour retrouver leur jeunesse prend l’apparence d’un gigantesque poisson semant de la poussière dorée.
Ici, il n’y a guère de fées et d’envol. Hormis cette créature et l’arrivée sur cette terre qui n’est pas sans rappeler celle de Max au pays des Maximonstres, la magie se ressent avant tout à travers les yeux des enfants dans Wendy. Une épure qui peut donner le sentiment que le réalisateur refuse le lyrisme et l’épique, excepté dans la bande originale qu’il a composée avec Dan Romer. Il préfère ne pas matérialiser - ou très peu - les visions de ses héros, obligés de se convaincre de dons que les spectateurs n'ont pas la chance de voir, comme s'ils avaient justement grandi trop vite.
Une réappropriation originale
Le parti-pris est audacieux mais risque de laisser une partie du public à l’entrée du Pays Imaginaire. Là où Steven Spielberg et Joe Wright n’hésitent pas à charger leurs plans pour retranscrire la féerie du lieu, quitte à parfois tomber dans l’outrance, Benh Zeitlin opte pour le dépouillement. La caméra portée se place à la hauteur des enfants et virevolte, déborde d’énergie et d’émotion. Avec ses plans aériens et sa lumière naturelle, une nouvelle fois travaillée par le chef opérateur Ben Richardson, Wendy s’impose là encore comme le petit frère des Bêtes du Sud Sauvage.
Le long-métrage apparaît donc plus proche du précédent film de son auteur que des nombreuses adaptations autour du mythe. Néanmoins, Benh Zeitlin reprend certains éléments plus sombres de l’histoire originale, à commencer par la thématique du deuil, ennemi de l’enfance et source de douleur pour les adultes privés d’insouciance. J.M. Barrie était profondément meurtri par la perte de son grand frère à l’âge de sept ans. Un drame qui a nourri toute son œuvre et que Wendy évoque, au même titre que la détestation de Peter pour les adultes.
Incarné par le jeune Yashua Mack, le personnage n’a pas la flamboyance qu’on lui connaît contrairement à Wendy, interprétée par l’impressionnante Devin France. Silencieuse, toute sa soif de découverte et son empathie passent par son regard dénué de toute colère, à l’inverse de ceux des autres protagonistes. Révélation de Wendy comme l’était Quvenzhané Wallis pour Les Bêtes du Sud sauvage, l’actrice débutante confirme à elle seule que Benh Zeitlin est un cinéaste capable de capturer l’émerveillement et l’effervescence de l’enfance.
Wendy de Benh Zeitlin, en salle le 23 juin 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.