Sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, "Western" est reparti sans prix, mais avec une critique plutôt élogieuse. Six mois plus tard, et alors que le film sort aujourd’hui en salles, on peut le (re)dire : "Western" tutoie les sommets avec une simplicité et un humanisme grandioses.
Dans un coin reculé de la Bulgarie, à la frontière avec la Grèce, Western raconte l'installation d'un groupe d’ouvriers allemands le temps de la construction d’une centrale hydraulique. Un climat de méfiance va s’installer entre ces ouvriers et les gens du village local, en même temps qu’un duel se met en place entre Meinhard et Vincent, deux des ouvriers. Western est le deuxième long-métrage de Valeska Grisebach. Produit par l'auteure de Toni Erdmann, il est l'une des belles surprises de 2017.
L'hommage au genre
« Il avait de grands yeux très clairs,
Où parfois passaient des éclairs,
Comme au ciel passent des orages (…) »
Comme dans la chanson d’Edith Piaf, Meinhard est un ancien légionnaire, et c’est tout ce qu’on apprendra de son passé. Un cowboy-ouvrier, et le premier rôle iconique et déjà inoubliable de Western.
Western, comme son nom l’indique, a tout du parfait film de ce genre. Dans une contrée aride, loin de tout, un homme au passé mystérieux va s’installer, le temps de rivalités, d’incompréhensions et d’affrontements. À propos de l’eau - ressource vitale pour les habitants, mais ici en quantité limitée -, d'un cheval, ou encore pour gagner la considération d'une femme et des villageois. Dans ce décor, Meinhard, héros à la fois minéral et solaire, impassible, mais comme empreint d’une mélancolie infinie, arpente la rue principale et déserte de Petrelik, cherchant à entrer dans un symbolique saloon.
Un western européen
Formellement, et dans un style presque documentaire, l’exécution est parfaite. Mais le film va au-delà. Si les codes de l’Ouest sauvage sont là, l’aventure se passe bien à l’Est, une des frontières oubliées de l’Europe. La transposition est subtile et soignée, permettant d'évoquer les éléments constitutifs du western et en même temps de les déjouer.
Dans Western, les ouvriers sont un peu nationalistes, souvent maladroits et parfois xénophobes. Loin de chez eux, ils réaffirment une identité qui les rassure. En face, la population bulgare observe et s’engage avec méfiance. Il y a un discours formidable sur la difficile fraternité des peuples d'Europe, qui montre en dépit de tout une vitalité collective faite d’honneur et de confiance. Des rapports qui ne sont pas ceux, institutionnalisés et désincarnés, de la puissante Europe de l’Ouest.
C'est par ces duels entre individus singuliers que se révèle la complexité de la nature humaine, ainsi que ses manières assurées ou au contraire hésitantes. Chacun limité est par sa langue, son histoire, et ses propres mythes. Et c'est autour d'une cigarette, d'un repas, de la mort d'un cheval, que les liens se font, maladroitement et à tâtons.
Peindre les hommes
Chaque pièce du film de Valeska Grisebach est une pièce originale. C'est-à-dire que tout est apporté ex nihilo. Les deux acteurs principaux, Meinhard Neumann et Reinhardt Wetrek, sont tous deux des ouvriers dans la vie civile, et ont été repérés pour ce film. Le lieu, le village de Petrelik, a été à l’origine du film plus qu’il n’a été un élément du scénario. Dans le film, les villageois sont les véritables habitants de la petite localité bulgare. Le film est ainsi unique, et sa manière l’est aussi. Il y a de ce fait une profonde authenticité des relations et des rares émotions que ces vraies "gueules" de cinéma nous montrent.
Le portrait d’homme dressé par Meinhard est d’une profondeur rarement atteinte avec si peu de mots. Son visage semble avoir été taillé par mille couteaux, les yeux sont bleus et durs, les mots rares, mais dits avec conviction. Alors qu’il n’avait jamais joué auparavant, il réussit la parfaite incarnation de l’aventurier solitaire. Il semble porter avec lui toute l’histoire des malheurs de l’homme : la guerre, la perte d’un être aimé, donner la mort, être trop loin de chez soi…
Meinhard n'est-il ici que pour l’argent ? Est-il timide avec les femmes, ou est-ce autre chose ? Qu’est-ce qui l’unit et l'oppose à Vincent ? On ne le saura jamais vraiment, tant ses traits peuvent ne rien exprimer ou concentrer toute l’humanité, sans jamais changer. À un seul moment il acceptera de s'ouvrir, laissant monter quelques larmes qu'il ravalera immédiatement. Cette scène réussit à faire tenir ensemble le partage pudique du drame personnel et la magnifique et élégante solitude du héros. Il s'agit d'un des sommets du film, d'une simplicité et d'une intensité rarement vues.
Western, entre contemplation et retenue
Alors que Vincent essaie de conduire son projet en homme fort et cherche de manière agressive la reconnaissance des locaux, c’est Meinhard qui réussira. Malgré la barrière linguistique, malgré le passé qui vaut mieux être tu, une belle amitié naîtra. Aussi, une fugace évasion amoureuse viendra nourrir le duel de Vincent et Meinhard, deux hommes qui s’affrontent en même temps qu’ils luttent contre leur propre peur, atteignent leurs limites et cherchent la paix avec leur propre monde.
Il n'y a que deux scènes d'intérieur dans le film, ce qui est une forme de respect du style western. En effet, la belle part est faite à de grandes perspectives larges et patientes sur la majesté de la campagne bulgare, silencieuse et tannée par le soleil. Ici, s'exprime une ode à la liberté ainsi qu'à une forme apaisée de solitude.
Mais le film, époustouflant dans ses plans larges comme dans ses prises serrées sur les visages, se retient presque trop. Rien ne sera vraiment résolu lorsque la nuit tombera. Et Meinhard et Vincent, duellistes patients, ne laisseront pas la violence contenue prendre le pas sur la contemplation. C'est ici qu'un possible regret se dessine. Le drame s'est joué graduellement, sans fureur et sans véritable affrontement final, ce que l'essence contemplative et la beauté du film n'empêchaient pourtant pas.
Western est un très beau film, une fable humaniste intense et patiente, comme il s'en crée de moins en moins. Filmé dans une nature belle et hostile, il est porté par l’interprétation magistrale de ses comédiens amateurs. Un chef d'œuvre pour qui aime le genre du western, et observer la masculinité dans ce qu'elle a de tout à fait misérable et d'infiniment splendide.
Western de Valeska Grisebach, en salle le 22 novembre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.