Le parfum du scandale n’aura finalement pas eu raison du dernier bébé du cinéaste britannique, qui offre ici un thriller honnête et haletant juste ce qu’il faut.
"Il n’y a pas de mauvaise publicité". Sans doute avez-vous déjà entendu l’expression, tant elle a le cuir épais. Mais qu’en est-il lorsque ladite "mauvaise publicité" désigne un scandale sexuel qui menace un projet cinématographique tout entier ? C’est la question qu’a été forcé d’éluder Ridley Scott, bien décidé à sortir son dernier-né, Tout l’argent du monde, dans les temps initialement annoncés. Et ce, malgré l’éviction de sa tête d’affiche, Kevin Spacey, accusé de harcèlement et agression sexuelle par une vingtaine de personnes à l’heure de l’écriture de ces lignes.
Fallait-il exclure l’acteur de House of Cards de la sorte, façon KGB propagandiste ? Ici n’est pas l’interrogation, et au final à quoi bon, puisque ce qui est fait est fait. Non, en vérité, l'intérêt réside bien en cette nouvelle mouture, aux scènes tournées avec précipitation (et opiniâtreté), sans aucun doute pour être à temps dans la course aux Oscars. Exit Kevin Spacey donc, place au vénérable Christopher Plummer. Et les spectateurs ont sacrément gagné au change.
Inspiré de faits réels
Tout l'argent du monde s’inspire largement du tristement célèbre kidnapping de Paul Getty, petit fils de J.Paul Getty, un magnat du pétrole qui est aussi et surtout l’homme le plus riche du monde. L’action prend principalement place à Rome, en 1973. Les ravisseurs demandent une rançon de 13 millions, une bagatelle si on considère la fortune du grand-père milliardaire. Ce que les criminels n’avaient pas prévu, c’est que J.Paul Getty est aussi aisé qu’avare et cupide. S’il "aime particulièrement" son petit-fils, il estime que sa vie n’en vaut pas le prix demandé. Et envoie paître les kidnappeurs, sans états d’âme.
Gail (Michelle Williams), la mère de Paul, qui a beau être sans un sou en poche, met les bouchées doubles pour sauver la chair de sa chair. Pour ce faire, elle s’allie par la force des choses à Fletcher Chace (Mark Wahlberg), chef de la sécurité du businessman et ancien espion dont la négociation n’a aucun secret… Du moins, selon ses dires.
Christopher Plummer, comme une évidence
Charismatique, détestable, torturé… Comme il aurait été dommage de laisser Getty Senior quelque part dans nos archives purement historiques. Personnage fascinant par sa complexité, sa cupidité et donc son immoralité, le milliardaire est merveilleusement campé par Christopher Plummer. Lui offrant un jeu dense aux multiples alouettes et non pas un simple caractère unilatéral et proche de la caricature (ce qui n’est pas le cas de tous les personnages, mais nous y reviendrons). Certes, l’acteur n’était pas le premier choix de sir Ridley Scott (alors qu’il a l’âge du rôle, contrairement à Kevin Spacey). Et pourtant, dès sa première apparition à l’écran, sa présence au casting sonne comme une évidence. A noter que ses scènes, une trentaine, tournées en une dizaine de jours, ne trahissent jamais la précipitation du projet. Le réalisateur britannique signe ici un joli exploit.
Il faut dire que le cinéaste octogénaire, bien qu’actuellement obsédé par les franchises lucasiennes (il rêve de faire un empire à la Star Wars avec Alien), délivre ici un impeccable thriller psychologique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’argent et le kidnapping ne sont que des prétextes pour parler de relations humaines. Combien suis-je prêt à mettre pour sauver la vie de ceux que j’aime ? L’argent fait-il vraiment le bonheur ? Après tout, qui penserait un seul instant que le collectionneur d’œuvres d’art en mal de cocon familial est un tant soit peu réellement heureux ?
Des dollars comme conducteur
Plus que de simples éléments scénaristiques, les billets verts (qu’on a ou pas, c’est tout le débat), sont des personnages à part dans l’intrigue, fil rouge aux arcs narratifs des autres protagonistes. Si les scènes avec Paul sont assez rares, elles décrivent un garçon aussi vénal et arrogant que son grand-père, prenant bien vite goût à la luxure. Seule Gail semble s’affranchir du joug financier qui dirige notre société capitaliste. Mais pas pour longtemps : alors que la mère courage souhaite régler l’affaire en payant la somme exigée le plus vite que possible, son infortune et ses origines modestes la stoppent net dans ses ambitions. Il serait d’ailleurs impossible de ne pas saluer ici la performance saisissante de Michelle Williams, élégante et sans fioriture, exercice guère évident dans ce genre de drame taillé pour arracher la petite larme.
Hélas, on ne peut en dire autant de Mark Wahlberg et Romain Duris (le français incarnant l’un des mafieux). Leurs personnages, stéréotypés au possible, ne leur laissent que peu de champ libre en terme d’interprétation. Et si le premier n’est pas non plus à clouer au pilori (on l’a connu bien moins en forme, dans Transformers pour ne citer qu’un exemple), le frenchy est incontestablement le point faible du métrage. Mais pourquoi l’avoir choisi pour incarner un gangster italien… ? Si ce n’est la caution made in France, qui fait toujours son petit effet outre-Atlantique, on peine sérieusement à comprendre. Enfin, passé ces écueils, Tout l’argent du monde reste un divertissement prenant, un peu moraliste, mais jamais moralisateur. A la vue de son historique pour le moins houleux, on ne lui en demandait pas tant.
Tout l'argent du monde de Ridley Scott, en salle le 27 décembre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.