CRITIQUE SÉRIE - Thomas Cailley passe du grand au petit écran avec "Ad Vitam", une proposition de science-fiction qui fait du bien dans le paysage télévisuel français et qui lui permet d'aborder des thèmes contemporains grâce au genre. Co-créateur avec Sébastien Mounier, il dirige l'intégralité des épisodes.
Dans le monde futuriste d'Ad Vitam, les hommes ont réussi à trouver une parade contre la Mort. Grâce à la régénération, les corps peuvent cesser de vieillir, assurant à ceux qui en bénéficient de vivre plusieurs vies en une. C'est le cas de Darius (Yvan Attal), un policier sur le point d'atteindre ses 120 ans. Dans l'exercice de ses fonctions, il est confronté à un groupuscule de jeunes qui s'opposent à la régénération. Cette nouvelle génération est prête à se suicider pour faire entendre sa voix. Lorsque sept d'entre eux se donnent la mort d'un commun accord, le policier demande de l'aide à Christa (Garance Marillier), une jeune femme qui connaît de l'intérieur ce milieu. Il veut comprendre ce qu'il se cache sous ces vagues de suicides et quelle est l'identité des têtes pensantes.
Dans son premier film, Les Combattants, Thomas Cailley suivait deux jeunes adultes de nos jours, dans une société qui ne savait pas les concerner. Une jeunesse perdue, déboussolée, prête à commettre des actes insensés au nom d'un mal être flagrant. La Madeleine qu'incarnait Adèle Haenel imaginait une apocalypse imminente, au point de la pousser à s'entraîner durement pour y survivre. Un désir plus qu'une prophétie, pour ne plus avoir à exister dans un monde qui ne la comprend pas. Par le biais de la science-fiction, Thomas Cailley continue de s'intéresser à une jeunesse déphasée. Avec Ad Vitam, il confectionne un objet plus audacieux sur la forme, plus poussé dans le développement de thèmes qu'il aime aborder. Il fallait bien le format d'une série pour prendre autant le temps de traiter un univers où la jeunesse ne peut pas s'affirmer comme telle autrement que par la contestation. Les Combattants durait moins d'1h40, le réalisateur français a là six épisodes d'une cinquantaine de minutes pour s'exprimer.
Comment vivre sa jeunesse si la crainte de mourir n'existe plus ? Pire, comment le faire quand la génération précédente refuse de raccrocher ? C'est face à ces questions que se retrouvent les jeunes d'Ad Vitam qui voient tous les jours leurs prédécesseurs imposer un mode de fonctionnement, sans que leur parole ne soit prise en compte. À force de les délaisser, de leur retirer ce qui rend leur âge si trépidant, ils ont créé des bombes humaines, capables de se rebeller, de commettre l'irréparable. À force de ne pas s'écouter, la fracture s'amplifie et les drames arrivent. Par son argument futuriste, Thomas Cailley parle en sous-texte d'une partie des jeunes adultes français de 2018, perdus dans une société trop éparse pour fonctionner. Et qui sont prêts à épouser une cause radicale parce que les leaders derrière leur ont accorder l'attention qu'ils désirent. On pense ainsi à ceux qui parsèment l'actualité, ces adolescents perdus prêts à donner leur vie au nom d'un terrorisme qui les instrumentalise.
Bien que l'intrigue se range du côté de Darius, elle ne fait pas du policier un justicier blanc en ne camouflant ni son comportement parfois discutable (notamment dans la sphère privée) ni son rapport à la vieillesse. Notre attention se reporte néanmoins vite sur Christa, croulant sous les questions, ballottée entre sa participation à la résolution de l'enquête et un chemin intime à parcourir pour se trouver comme individu dans la société. Garance Marillier apporte toute sa sensibilité au personnage, capable d'intérioriser une vraie gamme d'émotions. C'est en regardant l'histoire par dessus son épaule que l'on saisit véritablement la portée des enjeux mis en place. Car elle est jeune, dans la possibilité d'avoir accès à la régénération sans toutefois vouloir en profiter. La mise en scène de Thomas Cailley s'évertue à apporter du relief aux personnages en venant distiller des touches stylistiques bien senties. Ce n'est pas tant l'enquête à proprement parler qui captive, mais comment il arrive par sa réalisation à gratter derrière les figures principales pour faire apparaître leurs blessures, leurs doutes, leurs émotions. En somme, ce qui les rend vivants, malgré que les avancées scientifiques inhérentes à son scénario forcent à reconfigurer cette notion.
Soutenue par une direction artistique solide sans chercher l'esbroufe, la série est une belle réussite. Une de plus en cette période où les productions télévisuelles françaises imposent leur personnalité (Le Bureau des Légendes est le plus épatant exemple). Ad Vitam nous interroge sur ce qui rend la vie si spéciale : la certitude de voir la mort surgir un jour. Sans cela, c'est ce que dépeint la série, l'existence est une longue parenthèse sans fin. Ce qui confère à l'ensemble une atmosphère diffuse, froide. Pas tout le monde sera réceptif à son rythme, à sa lenteur. Parce que les sentiments n'ont plus l'air d'avoir tant que ça leur place dans un monde peuplé de fantômes. C'est à peine si on a encore l'impression d'être sur Terre. Ad Vitam donne à voir un futur que l'on n'est pas tant pressé de vivre. Le transhumanisme peut permettre aux corps de conserver leur fraîcheur, en revanche, les cœurs cachés dessous sont délestés de leur précieuse vitalité.
Ad Vitam créée par Thomas Cailley et Sébastien Mounier, sur Arte à partir du 8 novembre 2018 et déjà disponible en intégralité sur arte.tv jusqu’au 7 décembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.