La nouvelle saison de la série devenue événement depuis qu’elle a été avalé par le géant Netflix a débarqué le 29 décembre 2017 sur la plateforme. Les six nouveaux épisodes, tous écrits par Charlie Brooker, le showrunner, satisfont-ils l’attente assez importante qu’ils ont suscitée ?
Plongeant le spectateur dans un univers dystopique, Black Mirror présente donc, à quelques exceptions près (l’épisode 4 de la saison 3, San Junepiro, notamment), un point de vue contrasté, sombre, voire franchement pessimiste sur le devenir technologique de l’humanité. Les six épisodes de 2017, d’une durée variant entre 41 minutes et 1h16, sont, comme souvent dans les séries d’anthologie, particulièrement disparates, tant visuellement qu’en termes d’intérêt pur, même s’ils représentent tous une variation sur la même préoccupation : la technologie fait-elle doucement glisser l’humanité vers l’abyme ?
Le premier épisode, USS Callister, est l’un des plus réussis de cette quatrième saison et apporte un semblant de réponse à la question. Singeant l’univers de la série Star Trek, de Gene Roddenberry, il nous plonge dans un jeu vidéo spatial créé par un intello asocial qui, en récoltant quelques échantillons d’ADN de ses collègues de bureau, intègre une copie numérique d’eux-mêmes dans le monde virtuel qu’il domine comme un tyran. Soumis au despote, les avatars vont se rebeller grâce à l’arrivée dans le jeu de la nouvelle recrue de l'agence où ils travaillent tous, Nanette Cole.
Noir c'est noir...
Cet épisode est intéressant à plus d’un titre : tout d’abord, via sa première séquence, il commente sarcastiquement la tendance actuelle du revival, en présentant une réactualisation superficiellement fidèle à Star Trek, c’est-à-dire dévote à la lettre mais pas à l’esprit. Il ne faut pas plus de deux plans pour percevoir l’hommage à la série, grâce aux décors et aux costumes, mais cet hommage est lentement intoxiqué de l’intérieur par la théâtralité du jeu des acteurs et des dialogues, et in fine par l’attitude insidieusement despotique du chef de l’équipage, qui embrasse les deux femmes du vaisseau à la fin de la mission.
Cette fidélité uniquement cosmétique met à jour la tendance à la superficialité des adaptations contemporaines, et notamment mais pas uniquement, de la trilogie Star Trek sortie récemment au cinéma. Evidemment infidèle à la série des années 60 en termes de dynamique relationnel entre les personnages, cet épisode poursuit cependant la visée progressiste et humaniste de Gene Roddenberry, tout du moins pour l’époque futuriste dans laquelle la plupart des épisodes se déroulent, celui-ci inclus. La technologie ayant singularisé à l’extrême les personnages, symbolisé en cela par les rapports compliqués ou abscons qu’ils entretiennent entre eux, la nouvelle frontière à atteindre au fin fond de l’univers est tout bonnement… La solidarité, notion diluée dans l’individualisme forcené qui dirige l’humanité de Black Mirror.
... il n'y a plus d'espoir ?
Du reste, si cet épisode est plutôt intéressant, et innovant dans son principe à l’aune de la série, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Dès le second, réalisé par le gros nom Jodie Foster, la machine s’enraye, et cette historiette plutôt prévisible dans son déroulement et sa finalité indiffère plus qu’autre chose. Black Mirror, dont le concept impose un renouvellement constant, doit surprendre ou émouvoir pour intéresser, et doit, surtout, provoquer la réflexion. En ce sens, les épisodes deux et quatre, absolument pas dénués d’intérêt, tiennent cependant difficilement la comparaison au sein d’une fournée pourtant pas si exceptionnelle que ça (la haute densité de la première saison n’a toujours pas été retrouvée).
Très noire, que ce soit de manière évidente (Crocodile, Metalhead, Black Museum) ou plus souterraine (Hang the DJ, avec sa fin désespérante sur un Système tellement étendu qu'il contient sa propre critique), cette saison 4 reçoit de manière significative l’apport de deux cinéastes, dont un estimé : John Hillcoat (La Route, Triple 9). Si Crocodile n’est pas le meilleur épisode de la saison (la trajectoire de l’héroïne, trop étonnante dans son extrémisme, rend factice la noirceur du récit), sa mise en scène atteint des sommets de sécheresse, et la puissance de quelques plans, impliquant une nature rocailleuse ou un personnage masqué, hypnotise.
Mais s’il fallait n’en choisir qu’un, dans cette saison 4, le survival Metalhead, de David Slade (30 Jours de Nuit) remporterait la palme. Mixe d’influences cinématographiques, allant de Mad Max : Fury Road, pour son univers post-apocalyptique en noir et blanc chromé (le film de George Miller devait sortir sous cette forme), en passant par Terminator, pour la menace robotisée implacable, Metalhead est dénué de toute velléité explicative, ce qui lui donne une simplicité salutaire qui manque parfois aux autres épisodes. Mené en ligne droite, cet opus dépouillé ménage des scènes d’action efficaces opposant une guerrière blonde, nommée Ellen, à un robot à quatre pattes increvable. Court (41 min) et rêche, Metalhead est une bonne surprise dans une saison intéressante par sa noirceur, mais globalement déceptive en regard des attentes.
Black Mirror créée par Charlie Brooker, saison 4 depuis le 29 décembre 2017 sur Netflix. Ci-dessus la bande-annonce.