CRITIQUE SÉRIE - Nouvelle création de Matt Groening, "Désenchantée" lui permet, après la science-fiction et le monde contemporain, de s'aventurer dans le domaine de l'heroic fantasy. Une autre réussite à son actif ?
Le royaume médiéval de Dreamland n'est pas au sommet de sa forme, malgré ce que son nom peut laisser penser. Pendant que le roi profite de son château perché en hauteur, le peuple vit comme il peut, en bas. Sans le sou, il se réunit quand même pour assister au mariage organisé de Bean (Abbi Jacobson), la fille de leur dirigeant. Un mariage qui doit faire office d'événement, scellant une alliance avec un autre roi, mais qui ne va pas se dérouler tout à fait comme prévu. Face à son futur mari, la princesse ne semble pas particulièrement partante pour s'unir à lui. Aidée de ses nouveaux compagnons Elfo (Nat Faxon) et Luci (Eric André), elle va s'enfuir pour tenter de vivre sa vie comme elle l'entend. Ainsi débute une aventure qui va nous faire découvrir un monde peuplé de trolls, d'elfes, de sirènes ou de harpies.
Bean n'a rien de la princesse que les petites filles aiment suivre dans les dessins animés prévus pour les toucher. Tant mieux, Désenchantée n'est pas réellement conçu pour atteindre un jeune public. Très vite, on comprend que cette princesse n'a rien de conventionnel. Dotée d'un fort penchant pour l'alcool, elle se comporte comme une tête brûlée, dégainant provocation sur provocation, dans un milieu où elle devrait se soumettre aux protocoles. Son statut, elle n'en a que faire ! C'est ce qui la rend spéciale, presque garçon manqué. Une héroïne moderne, tournant le dos au patriarcat avec la manière, lui adressant un gros doigt d'honneur en guise de remerciement. Si dans l'imaginaire collectif, une princesse de conte tombe sous le charme de son prétendant, avec à la clé un mariage grandiose empli de féerie, celui de Bean est un désastre : son mari termine la tête empalée.
Humour plat
Ce n'est pas sur le plan de l'humour que la série va remporter l'adhésion. La majorité des ressorts comiques tourne autour de situations absurdes ou de petites blagues transgressives. Mais tout cela reste bien sage si on est déjà familiarisé avec les précédentes créations de Matt Groening. Les fans seront déçus du manque d'inspiration dans ce domaine. Le premier épisode de la saison est un trompe-l'œil, épuisant en moins de 30 minutes le potentiel humoristique de Bean. Une fois sa caractérisation cernée, que l'on comprend qu'elle n'a pas peur de se dresser face à des brutes et qu'elle peut se mettre nue devant son père, on a quasiment tout vu. Pour le reste - du moins pour la moitié de saison qui a été mise à notre disposition - Désenchantée nous laisse vite sur notre faim, permettant de timides rictus de temps à autre. Compte-tenu du contexte actuel, et tout ce qui tourne autour de la question du féminisme, on aurait apprécié que la série ose un humour plus tranchant.
Désenchantée est finalement plus proche du drame existentiel que d'une véritable comédie faite pour nous plier de rire sur notre canapé. Bean comme Elfo ont toujours subi le milieu social auquel ils appartenaient. Leur alliance leur permet de s'émanciper pour comprendre au fond qui ils sont. Ce qui en ressort, c'est un profond malaise intérieur, qui s'infiltre en sous-marin un peu partout dans l'ambiance de la série. Une impression de dépression diffuse qui fait un peu patauger la série plutôt que de la propulser dans une galaxie permettant de s'émouvoir de leur apprentissage sauvage. La série a un réel problème avec ses promesses : elle n'en tient (quasiment) aucune ! Le seul aspect sur lequel elle se montre irréprochable est le visuel.
Épisodes interchangeables, personnages sans évolution
Les trois personnages centraux partent avec un enjeu mais celui-ci n'est jamais poussé. Au bout de cinq épisodes, tout le monde semble au même stade qu'au début. L'univers est une réussite graphique, le folklore est présent mais il manque ce petit plus qui va créer de l'empathie pour Bean et Elfo. La première reste une rebelle effrayée par une vie qu'elle ne connaît pas et le second traîne sa candeur dans un monde qui ne la mérite pas. Pour Luci, son utilité dans le groupe est discutable. La faible durée des épisodes (moins de 30 minutes) devrait permettre un enchaînement entraînant. Il n'en est rien parce que, à nouveau, pas grand chose de significatif se déroule à chaque fois. Au mieux, quelques obstacles que le trio franchit souvent avec peu de mal et sans de grosses égratignures à la clé. Un problème de construction/continuité est visible. Un épisode est interchangeable avec un autre - à l'exception du premier.
Il est encore trop tôt pour enterrer cette nouvelle proposition de Matt Groening. Déjà car il nous manque l'autre moitié des épisodes pour avoir une vision plus poussée et car il semblerait qu'une seconde saison soit déjà prévue sur Netflix. Ce ne serait pas la première fois que des débuts timides se transforment en série passionnante. Immédiatement, le résultat n'est pas pleinement convaincant. Tout ce qui faisait le charme de Futurama ou la réputation des Simpsons est reproduit, en moins impactant. Netflix a décroché un contrat avec un cador de l'animation mais malheureusement pour eux, ils tombent sur sa production la plus faible.
Désenchantée créée par Matt Groening,disponible sur Netflix à partir du 17 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.