14 ans après ses débuts, il y a encore beaucoup à dire sur Engrenages, qui revient pour une septième saison le 4 février sur Canal +. La rumeur a tenu, longtemps, que ce serait la dernière, puis a été simplement et naturellement démenti. Sans en prendre les atours classiques, Engrenages fait fantasmer, et a par sa longévité une aura mythique. Loin du bilan un moment craint, cette nouvelle saison parvient se réinventer et se rester fidèle.
Engrenages, vaisseau mère des créations Canal +
La première ? La plus grande ? La plus ambitieuse ? Pour toutes les séries policières françaises contemporaines, Engrenages est comme la reine mère. Elle a une place à part, parce qu’elle est, aussi, la figure de proue de la fiction Canal + depuis 14 ans. Mais sa grande popularité reste sobre, comparée à celle du Bureau des Légendes, et elle ne ménage moins de surprises, au contraire par exemple de la récente Hippocrate. Malgré la différence des styles et des genres, l’influence d’Engrenages est telle qu’elle impacte la création télévisuelle bien au-delà du seul genre policier.
Le standard noir établi par Engrenages semble toujours et partout de rigueur, et son succès à l’export confirme que l’attrait pour les anti-héros du 2e DPJ et du Palais de Justice est bien réel et généralisé. Fatigués, déterminés ou saisis par le doute, emportés par les évènements, les initiant par maladresse, les amplifiant parfois par faiblesse, leurs aventures policières et morales passionnent, et leurs ramifications dans toutes les couches de la société et différents milieux professionnels constituent un modèle du genre policier.
Une saison pour reprendre la main
La fin de la saison 6 avait laissé un champ de ruines, entre Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) en route vers la prison, le juge Roban (Philippe Duclos) très malade, une maternité très problématique pour Laure, le départ de Tintin (Fred Bianconi), fatigué des pratiques transgressives de ses collègues, et exclu par la relation très proche qu’ont Laure et Gilou.
La capitaine Laure Berthaud (Caroline Proust) n’aura jamais été autant au bout de sa vie. Elle ne parvient pas à assumer sa maternité et est en dépression. Le lieutenant Gilles Escoffier (Thierry Godard), « Gilou », a été promu chef de groupe mais il n’est pas entièrement serein, et sa relation amère avec Laure le perturbe. Enfin, rôde l’ombre de Tintin, parti, vidé, jusqu’à son surprenant retour. Mais la surprise, finalement, n’en est pas une : Engrenages est une histoire d’individus, une histoire assez longue pour que se soient développés des caractères et des destinées riches et complexes, qui cherchent à se réinventer à chaque saison.
En plus de ces anciens, le sérieux commissaire Arnaud Beckriche (Valentin Merlet) et le trouble avocat Eric Edelman (Louis-Do de Lencquesaing) prennent de plus d’importance. Aussi, un tout nouveau policier rejoint le groupe, Ali Amrani (Tewfik Jallab) au caractère opposé à celui de Laure ou Gilou, admiratif de leurs résultats mais mal à l’aise avec leurs méthodes.
Plus de policier, moins de justice
Avec eux, la dimension strictement policière reprend de l’épaisseur, peut-être plus que dans la saison précédente, où le Palais de Justice était plus présent. Il y a dans le développement des intrigues concernant le juge Roban et Joséphine Karlsson, une continuité avec la saison précédente, où leurs personnages étaient prépondérants. Mais tous deux affrontent le spectre de leur fin : la retraite pour le juge, la prison pour l’avocate, accusée d’une tentative de meurtre.
C’est d’ailleurs une des réussites de la saison, parce que le passage en prison de Joséphine explore la thématique des femmes dans l’univers carcéral. L’écriture fine et originale de la scénariste Marine Francou s’y épanouit, et avec Laure en dépression, on découvre aussi la difficile reconstruction des policiers en burn out. Ces deux femmes et leurs parcours, plus que jamais, sont exemplaires du style Engrenages, à défaut de l’être moralement.
La priorité reste donc donnée à l’équipe policière et son travail. Les crimes : meurtres, liens entre le trafic de drogue et la criminalité en col blanc, à savoir blanchiment d’argent, corruption et trafic d’influence. L’intrigue va se localiser des beaux quartiers parisiens aux entrepôts chinois d’Aubervilliers, continuant ainsi son inscription très urbaine. Une continuité de forme qu’assurent les deux réalisateurs, six épisodes chacun, Frédéric Jardin (Braquo et saison 5 d’Engrenages) et Jean-Philippe Amar (Un Village Français).
Engrenages joue avec la fidélité et la loyauté
Fidèle, chaque saison d’Engrenages s’ouvre toujours par un meurtre, aux ramifications dont la complexité grandit inlassablement. De la benne à ordures de la première saison au restaurant chinois de cette dernière mouture, le décor a finalement peu changé. Mais cette fois-ci, la principale victime d’un double meurtre n’est autre que le commissaire Herville, ancien « patron » du groupe.
Engrenages propose un univers peu spectaculaire, celui d’une unité de police presque banale, une vie de procédures et de surveillances dans Paris et sa banlieue nord. La série est une histoire de personnages, d’individus particuliers qui se débattent, et c’est à ce titre un véritable drame. L’histoire d’une unité de police, et de l’unité entre les personnages sans cesse vacillante, pour les bonnes et les mauvaises raisons, c’est un spectacle de mains qui se tiennent et se lâchent, puis se reprennent...
Le lieutenant Luc « Tintin » Fromentin, fidèle à ses principes de droiture et mis en retrait dans le groupe, est parti. La loyauté au groupe doit-elle contrevenir au respect de la loi ? C’est une ligne de tension permanente dans la série, et cette saison en est une illustration parfaite. On le retrouve là où on ne l’attend pas, à l’IGPN, la police des polices. Il va être contraint de choisir entre poursuivre ou aider ses amis. Le trio initial, réuni dans un bel antagonisme, va alors offrir une conclusion originale.
Un final stupéfiant pour une réinvention
La conclusion de cette saison devrait partager le public, puisqu’elle est une forme d’infidélité, et des esprits chagrins pourraient y voir une incohérence. Dans des lumières jamais vues précédemment, un retournement de situation suspend la dangereuse banalité du quotidien des personnages, pour proposer une autre vue, une échappatoire surprenante.
Dix minutes finales qui forment un épilogue direct à la traque des meurtriers d’Herville, le crime initiateur de la vaste enquête menée à son terme. Alors que toute la série est ancrée dans une action permanente, avec des enjeux persistants, le mécanisme stoppe, l’engrenage se suspend. La séquence est déstabilisante, et sa mise en scène inédite appelle une comparaison intéressante.
On entend dire partout que la saison 2 de True Detective était ratée. Quelque chose, dans la sublimation formelle du genre policier, semble réellement avoir déplu. Dans la seconde saison de la fameuse série américaine, la surprise est venue de cette intention de transcender le récit policier, pour l’emmener vers quelque chose de poétique, d’angélique, de fusionner toutes les références en une image éthérée. A la différence de la première saison, qui se concentre avec succès mais uniquement sur la formidable paire Woody Harrelson – Matthew Mc Conaughey, l’ambition de la deuxième saison était bien plus cinématographique, et plus radicale.
Ainsi, à l'instar Ani Bezzerides (Rachel MacAdams) et Ray Velcoro (Colin Farrell) de True Detective, Laure et Gilou d’Engrenages sont rivés depuis toujours au bitume par leurs faiblesses et les fatalités, et s’en arrachent un instant, de force, pour se voir enfin vraiment, se juger, individus devenus idées, pures figures de style et de genre policier. Une belle fin, prometteuse, d'une des meilleures saisons de la série.
Engrenages saison 7, diffusée à partir du 4 février 2019 sur Canal +. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bande-annonces.