CRITIQUE SÉRIE - Ben Stiller fait ses débuts à la télévision comme metteur en scène avec "Escape at Dannemora", une série d'évasion portée par un trio d'acteurs en très grande forme. Pas suffisant néanmoins pour masquer toutes les faiblesses de l'entreprise, malgré un matériau de base totalement hors du commun.
C'est l'histoire d'une évasion si folle qu'on la croirait tirée d'une fiction. En 2015, deux détenus de la prison de Dannemora, dans l'État de New York, réussissent à s'échapper en creusant un trou depuis l'intérieur d'un établissement réputé comme hautement sécurisé. Ce sont les premiers à y arriver. Leur fuite engendrera une chasse à l'hommes de plusieurs semaines. Cet événement loin d'être ordinaire, que l'on pourrait croire issu d'une saison de Prison Break, a droit aujourd'hui à son adaptation en série. Pourquoi se creuser la tête à concevoir des scénarios complexes quand la réalité offre des histoires de la sorte ? Et pour rester dans le surprenant, c'est Ben Stiller qui a été chargé par Showtime de diriger l'intégralité des épisodes. On n'attendait pas un homme aussi ancré dans le domaine de la comédie s'aventurer sur ce territoire, encore moins pour ses débuts sur une série.
L'un s'appelait Richard Matt, l'autre David Sweat. Les deux étaient derrière les barreaux pour meurtre. À l'écran, ils sont respectivement campés par Benicio del Toro et Paul Dano. Mais une troisième tête s'ajoute à l'équation et joue un rôle majeur : Tilly, une employée de la prison. Tour à tour, les deux criminels vont nouer une relation très intime avec elle, au point de la pousser à les aider pour leur faciliter la tâche, notamment en fournissant des outils ou en donnant des informations.
Un exceptionnel trio d'acteurs
Escape at Dannemora n'est pas le simple récit, étape par étape, d'une évasion extraordinaire. Le scénario aspire plutôt à approfondir les humains derrière, leurs rapports complexes. Ceux qui s'attendent à des péripéties rocambolesques dignes de Prison Break seront refroidis par ce que la série propose. Sur un rythme lent, elle fait la part belle aux interactions entre les protagonistes pour saisir les mécanismes psychologiques qui se trouvent dans l'ombre d'une telle folie. D'une part, il y a deux hommes, condamnés lourdement. N'ayant plus rien à perdre, ils se lancent dans l'impensable. C'est souvent au bord du précipice que l'être humain trouve en lui les ressources pour se dépasser. D'une autre part, il y a une femme, dont la vie monotone demande une éclaircie. La liaison illégale qu'elle entretient avec eux introduit dans son existence une part d'excitation. C'est avant tout pour elle-même, libre mais emprisonnée dans une routine mortelle, qu'elle accepte de coopérer. Quand en face, ces condamnés jouent de leurs charmes, pas forcément pour ses beaux yeux. Les motivations sont plus étudiées que les actes, parce que sans elles, ils n'ont pas lieu d'être.
Le scénario offre du caviar aux acteurs principaux pour exprimer tout leur talent. Benicio del Toro, charmeur et ténébreux excelle dans un registre qu'il connaît, épaulé par un Paul Dano moins monolithique, plus expressif et sensible. L'alliance entre ces deux s'avère très intéressante à l'écran mais c'est surtout Patricia Arquette qui prend toute la lumière, dans le rôle de Tilly. Grimée et avec plusieurs kilos en plus, elle apparaît méconnaissable. Sa transformation physique n'est pas une finalité mais un outil nécessaire au service de son jeu, et de ce portrait d'une femme en perdition. La série ne se trompe pas à son sujet en s'intéressant plusieurs fois à sa vie privée, nous extirpant de derrière les barreaux pour uniquement ausculter sa personnalité. Un choix narratif prouvant que les personnages passent avant l'évasion dans les priorités du scénario.
Une série qui prend trop son temps
Il faudra ainsi attendre plus de la moitié des épisodes pour que l'extraction de la prison ait lieu. On peut reprocher à la série, malgré sa note d'intention limpide, de parfois trop prendre son temps, avançant pas à pas pour traiter des points que l'on avait déjà saisi. Ben Stiller emballe l'ensemble avec maîtrise, sachant cadrer et installer une ambiance tout en restant ancré dans un ton réaliste pour ne pas en faire des caisses - malgré qu'il s'autorise des pas de côté avec l'aide principalement de la musique. Le format télé montre ses limites lorsqu'il est exploité ainsi, tombant dans une longueur stérile. Comme ces équipes de foot qui font tourner la balle démesurément sans amener de danger devant le but.
D'autant plus qu'Escape at Dannemora n'a pas dans son ADN une base pour jouer outre-mesure avec un quelconque suspense sur la finalité des événements - la conclusion de ce fait divers est déjà connue. Cette étude d'un microcosme carcéral parsemé de failles peut autant captiver par son sens de la précision (le tournage a eu lieu dans la vraie prison) qu'elle peut lasser par son manque de dynamisme. Avec quelques coupes dans le tas, la série aurait pu s'imposer comme un immanquable de la fin d'année. C'est dire les immenses qualités qu'elle met en évidence.
Escape at Dannemora créée par Michael Tolkin et Brett Johnson, sur Canal+ Séries à partir du 20 novembre 2018 et sur MyCANAL dès le 19 novembre. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.