CRITIQUE / AVIS SÉRIE - Après quelques années d'absence, Derek Cianfrance cède à l'appel du petit écran et file chez HBO pour "I Know This Much Is True", un programme avec Mark Ruffalo exceptionnel qui campe deux frères à lui tout seul. Une performance qui prend beaucoup de place.
Avec une sensibilité imparable, Derek Cianfrance s'est installé comme l'une des belles promesses du cinéma indépendant américain. Le sentimental Blue Valentine puis le tragique The Place Beyond The Pines ont été clairs sur les capacités d'un auteur au commencement d'une carrière indubitablement appétissante. Un coup de moins bien s'est fait ressentir avec Une vie entre deux océans, l'ami Derek Cianfrance allant encore plus profondément dans le mélo en en faisant un peu trop.
Pour I Know This Much is True, sa première expérience dans l'industrie télévisuelle, il adapte le roman La Puissance des vaincus de Wally Lamb et permet à Mark Ruffalo de tenir deux rôles. Celui qu'on a vu en début d'année dans Dark Waters inscrit son nom sur la liste des acteurs (Tom Hardy dans Legend, Jesse Eisenberg dans The Double, pour citer deux exemples récents ) qui se sont essayés à ce périlleux exercice de jouer des jumeaux. Il alterne ici entre Dominik, un homme assez stable dans sa tête qui doit supporter depuis l'enfance son frère Thomas, atteint de troubles mentaux. Deux ans séparent leur naissance, pourtant ils se ressemblent comme deux goûts d'eau. Du moins, physiquement.
Un très bon Mark Ruffalo
I Know This Much is True débarque donc avec le poids de cette performance XXL à assumer, sans qu'elle n'écrase tout le reste ou tourne à la démonstration de force. Mark Ruffalo est, comme attendu, parfait dans les deux registres. Il sort évidemment encore plus du lot quand il campe le dérangé Thomas, dont la première scène ne tarde pas à exprimer ses soucis. Dans une bibliothèque, il brandit une lame et se sectionne volontairement une main. Lui, dira que c'est un signe de protestation. Les autres diront qu'il est fou. La vérité se trouve sûrement plus de ce côté et Dominik le sait, mais la beauté de ce personnage réside dans son dévouement quasiment christique à ce frère qui ne sera jamais en phase avec le monde.
Sa force, il la trouve dans la mission confiée par sa mère dans une magnifique scène, sur son lit de mort. Mais on sent toute l'ampleur de sa souffrance quand il doit, sans cesse, réagir aux actes de son frère, les réparer, l'aider. Quitte à lutter contre des forces trop puissantes pour lui, comme dans ce final du pilote où il ne trouve pas la bonne approche pour sortir son frère de derrière les barreaux.
I Know This Much Is True force sur l'émotion
L'ensemble de I Know This Much is True reste sur cette tonalité, où un tourbillon bruyant frappe toujours le pauvre Dominik. C'en est même parfois trop, les larmes étant la règle et les sourires l'exception. Si la série reprend les éléments du roman dont elle est tirée, on a de la peine pour le personnage principal qui n'a jamais de répit ou de positivité dans sa trajectoire. À se demander ce qui lui donne encore envie de rester sur Terre tant il prend dans la figure vents et marrées.
Toute cette misère donne à Mark Ruffalo l'occasion de prouver quel grand acteur il est - ce n'est pas nouveau - mais I Know This Much is True pousse les potentiomètres très loin pour susciter l'émotion. Bien avant ça, le cinéma de Derek Cianfrance n'avait jamais été d'une subtilité folle et privilégiait les grandes envolées larmoyantes. Quand de la douleur se mettait à érupter à l'écran, on la recevait en pleine face, avec des grosses larmes, des cris et du réalisme formel. Le réalisateur garde son approche très réaliste pour filmer les émotions mais il s'autorise toujours quelques écarts plus stylistiques, à l'image de ce tout premier plan en panoramique.
I Know This Much is True reprend ce qu'on connaissait de son style et le ressasse sur une durée plus longue. On en ressort avec un sentiment mitigé, le plaisir de retrouver le style de Derek Cianfrance est bien là, en nous rappelant qu'il n'a jamais peur d'affronter les sentiments de ses histoires avec premier degré et frontalité. C'est aussi là que la limite de son approche n'en est que plus flagrante. À forcer de se faire harasser par le flot de malheur qui enfonce Dominik, on ne ressent plus les émotions comme on le devrait, quelque part exténués par la répétition.
La relation entre les deux frères est un combat perdu d'avance, la maladie mentale de Thomas fermant la porte à toute forme de réhabilitation dans la société. Mais le regard que pose son frère sur lui, avec cette pointe de tendresse ancrée dans les liens du sang, est ce qui marque le plus dans I Know This Much is True. La série ne se focalise pas que sur les jumeaux et analyse plus en profondeur les racines de cette famille dysfonctionnelle qui n'aura fait vraiment aucun cadeau à Dominik. Ce qu'avait réussi Derek Cianfrance dans la tragédie familiale The Place Beyond The Pines correspond moins au format sériel, la dose d'émotion non diluée nous écrase sur six épisodes.
I Know This Much Is True créée par Derek Cianfrance, à partir du 11 mai 2020 sur OCS en US+24. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.