CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "I May Destroy You", série de HBO diffusée en France sur OCS, dresse d’une façon très originale le portrait d’une jeune artiste et sa reconstruction émotionnelle après son viol, mais aussi celui de la génération de trentenaires à laquelle elle appartient.
On a découvert l’actrice et créatrice Michaela Coel dans la série comique Chewing-Gum. La revoilà showrunner de I May Destroy You, dont le style est très différent, plus engagé, presque politique. La jeune femme s’est, là encore, créée un rôle sur-mesure : celui d'Arabella, à qui elle offre sa personnalité charismatique, son bagout, ses tenues incroyables et son caractère égocentré. Mais elle le fait cette fois-ci au service d’une cause qu’elle défend avec conviction et dont elle se fait la porte-parole : le combat contre le non-consentement dans les relations sexuelles, qui peut aller jusqu’au viol, et les conséquences psychologiques et physiques sur les victimes.
Par le biais de la fiction et de ses personnages attachants, Michaela Coel parvient à offrir un véritable point de vue, presque à 360 degrés. Elle propose en effet au spectateur réflexions et interrogations autant du côté des victimes que de celui de ceux qui passent outre le consentement de leur partenaire et dont le comportement s’apparente à celui des violeurs. Car la limite est parfois ténue et la réalisatrice se fait un peu l’avocate du diable en montrant qu’un homme peut ne pas toujours être conscient de la portée de ses actes, pourtant aussi traumatisants.
La scénariste, par ailleurs coproductrice aux côtés de la chaîne HBO, ne cherche jamais d'excuse mais pousse très loin sa recherche didactique dans les failles de l’éducation du comportement masculin, hétérosexuel ou homosexuel, emblématique de sa génération. Une génération largement post-libération sexuelle, post-VIH, et post-#MeToo, qui dispose de nombreux moyens de vivre pleinement sa sexualité assumée.
Ce qui est intéressant dans I May Destroy You, c’est aussi la façon dont la showrunner dresse un portrait sans concession d’une bande de trentenaires de la communauté caribéenne londonienne. Ils sont libres dans leur tête comme dans leur vie, addicts aux réseaux sociaux et à l’image qu’ils renvoient, parfois confrontés au racisme. Leur besoin d’expression artistique oscille de l’écriture sur Internet à la littérature ou à la peinture, et ils sont capables la journée de faire du yoga et de manger bio, et la nuit de se saouler et de prendre de la drogue. Insouciants, ils ont du mal avec les deadlines, font parfois la confusion entre sexe et amour, refusent de s’engager sauf en amitié et prennent leurs décisions sur un coup de tête, voire de poker.
Du non-consentement jusqu'au viol
On voit ainsi très souvent Arabella faire la fête dans les bars et les boîtes de nuit, accompagnée de sa meilleure amie Terry (Weruche Opia), boire plus que de raison et choisir avec qui finir sa nuit. Mais au travail comme dans les bars, elle fait preuve de la même incapacité à poser ses propres limites et de la même absence de volonté et de motivation. Et même si elle n'a peur de quiconque, elle se met assez souvent en danger de non-maîtrise d’elle-même. C’est d’ailleurs au cours de l’une de ces soirées qu'Arabella est droguée au GHB (drogue du violeur) et violée alors qu’elle est inconsciente. Elle était pourtant accompagnée de son ami Simon (Aml Ameen, déjà impressionnant dans Yardie de Idris Elba), qui n’a pas veillé sur elle comme il aurait peut-être dû le faire.
Mais là encore, Michaela Coel réussit très bien à ne pas pointer du doigt les défaillances supposées de ses personnages, qu’elle ne juge jamais. Elle incite au contraire le spectateur à une réflexion immersive et l’invite à accompagner Arabella sur le terrain de ses doutes, ses interrogations et son besoin de compréhension et de décision à propos de ce qui lui est arrivé. On voit ainsi subtilement l’impact de cet événement sur l’attitude d’Arabella, qui se lance dans un travail puissant d’introspection et remet en question ses certitudes et son mode de vie pour aller à sa propre rencontre.
I May Destroy You décrit très bien de façon exhaustive toutes les étapes vécues et ressenties par chaque victime de viol, avec les plaintes auprès de la police, l’importance de l’amitié ou les incidences sur la vie professionnelle. Mais la force de la série est d’aller sur un terrain inattendu de la reconstruction, qui prend souvent le spectateur à contre-pied. Avec Arabella, pas de victimisation mais un besoin absolu d’avancer, de libérer la parole, de creuser son histoire familiale, de saisir des éléments de son histoire familiale et de comprendre pourquoi elle n’a pas appris à dire non.
La réalisatrice n’hésite pas à placer le spectateur dans la position inconfortable du participant aux scènes de la vie sexuelle parfois très crues, et même violentes, de ses amis Terry, Théodora (Harriet Webb) ou David (Lewis Reeves), accro aux applications de rencontres homosexuelles. Et il est saisissant pour le spectateur de comprendre que le récit des uns et des autres met en évidence qu’ils ont presque tous été victimes, à un moment de leur vie, de manipulations et de relations forcées, déterminants dans leurs choix et leurs parcours.
Alors, avec effroi, le spectateur peut s’interroger doublement sur son propre chemin relationnel, et envisager s'il a lui-même déjà subi ou déjà fait preuve d’une certaine violence sexuelle. S'il a déjà échoué à exprimer suffisamment fort son non-consentement ou s'il lui est déjà arrivé de faire semblant de ne pas avoir entendu un non-consentement. Malgré des flashbacks pas tous probants, une proposition finale peu convaincante et un risque de lassitude de voir l’actrice omniprésente à l’écran, I May Destroy You se révèle néanmoins une série nécessaire et audacieuse, dont la portée émotionnelle et éducative est indéniable et bien plus puissante qu’un documentaire.
I May Destroy You créée par Michaela Coel, diffusée sur OCS à partir du 8 juin 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.