CRITIQUE / AVIS SÉRIE – Dans la série "Icon of French Cinema" écrite, réalisée et interprétée par Judith Godrèche, l’actrice permet au spectateur de rencontrer avec humour son double fictionnel et de découvrir avec subtilité sa réalité.
Une femme qui se libère des traumas du passé
Le joyeux mélange du personnage réel et de son double fictionnel est un genre de plus en plus prisé. On pense ainsi à Désordres de Florence Foresti ou à La meilleure version de moi-même de Blanche Gardin. Qu’en est-il en effet de la proportion du vrai, du retour sur expérience, du fantasme ou de l’exagéré ? Judith Godrèche est aux manettes de sa série Icon of French Cinema et revient brillamment à la réalisation 15 ans après son premier long-métrage Toutes les filles pleurent.
Scénariste et interprète, elle met en exergue avec beaucoup de dérision et d’autodérision plusieurs épisodes marquants de sa vie. Elle en profite pour les (psych)analyser et comprendre les tenants et les aboutissants sur sa vie actuelle. Sa vie de femme, d’actrice et de mère.
L’expérimentation de mise en abyme de Judith Godrèche est d’autant plus troublante que c’est sa propre fille Tess Barthélemy qui interprète sa fille Zoé dans la série. La réalisatrice s’amuse et amuse le spectateur avec les multiples effets miroirs de sa vie, alternant savamment cœur et distanciation. Sans jamais s’encenser, bien au contraire, elle réussit à faire de sa série fantasque un véritable objet de réflexion.
Icon of French Cinema commence donc avec le retour de Judith à Paris, après un long séjour aux États-Unis où elle était précisément devenue cette icône du cinéma français. Elle veut que sa fille connaisse la vie en France et tente un come-back. Mais les producteurs et le public l’ont oubliée ou lui préfèrent Juliette Binoche. Elle n’a plus les codes du cinéma français et ses rendez-vous surréalistes avec Pierre de Marrot (Laurent Stocker) permettent à la réalisatrice de se moquer allègrement des producteurs de cinéma et de leurs coups bas.
Autres temps, autres mœurs
Soutenue par son agent Kristin (Liz Kingsman, vue dans Parlement), qui passe plus de temps à manger qu’à s’occuper d’elle, Judith erre ainsi dans les méandres de la télévision et des castings. Elle croise aussi Carole Bouquet dans son propre rôle, qui porte un regard acéré sur les possibilités de Judith à pouvoir revenir dans le cinéma français. Car c’est bien ce milieu qui est convoqué et critiqué dans Icon of French Cinema, à la limite du malaise dans ses parallèles de fiction et de réalité.
En effet, l’un des sujets majeurs abordés par l’actrice, et dont la presse s’est fait l’écho (Libération, Madame Figaro), c’est le consentement et la relation d’un homme adulte avec une adolescente. Judith dans Icon of French Cinema, a été repérée et séduite à 14 ans par le réalisateur Éric (Loïc Corbery). Judith, dans la vraie vie, a tourné et vécu à 14 ans avec le réalisateur Benoit Jacquot.
L’ampleur de l’impact de sa jeunesse hors norme et hors la loi bouscule Judith quand Zoé, danseuse de 16 ans, s’éprend du chorégraphe, de l’âge d’Eric. Son cœur de mère louve se réveille, en écho à sa propre adolescence. Ses souvenirs par flashbacks résonnent judicieusement les uns avec les autres. Ils permettent de finaliser avec émotion et consternation le puzzle des dégâts rassemblant la jeune actrice de 15 ans (Alma Struve) et l’actrice de 51 ans.
Par le biais des psychanalystes qui suivent les membres de sa famille, Judith revient avec délicatesse sur les défaillances de ses parents dans sa propre construction et les manquements de leur éducation. Sa mère Louise (Ludmila Michaël) est partie lorsqu’elle avait 9 ans. Son père Frédéric (Didier Sandre) l’a élevée, mais n’a pas su poser les limites, ni la protéger.
Une belle affirmation de soi avec Icon of French Cinema
La sororité et l’entraide au féminin dans un monde d'hommes sont bien à l’honneur dans Icon of French Cinema. Judith, Zoé et leur gouvernante Kim (Gina Cailin), sous l’emprise d’un homme qui profite de son état de sans-papiers, incarnent à elles toutes les facettes de la féminité. Elles se soutiennent, rient ensemble, se questionnent, sans se soucier de leurs classes sociales. La bienveillance n’est pas un vain mot dans la série, qui prône l’idéalisme d’un monde meilleur.
Un monde où même les événements dramatiques peuvent aussi être racontés avec humour. Pas moins de trois acteurs de la Comédie-Française côtoient deux actrices révélées dans Icon of French Cinema, bel autoportrait d’une héroïne lunaire attachante qui reprend son destin et sa liberté en main.
Icon of French Cinema de Judith Godrèche, sur Arte le 28 décembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.