CRITIQUE SÉRIE - Diffusée en juin dernier, "Impulse" pourrait être la première série majeure de Youtube où se conjugue une aventure classique et des problématiques sociales majeures.
Même si en termes d’innovation scénaristique l’âge d’or des séries semble lointain, le « petit écran » ne cesse de grandir avec le développement de nouveaux médias. Pendant des années, « série » rimait avec chaîne de télévision. Désormais, il faut compter sur des plateformes de SVOD comme Netflix et Hulu. Puis, Amazon, service de vente en ligne, s’est mis lui aussi à la diffusion et à la production d’œuvres. À la suite de quoi, des sociétés spécialisées dans d’autres domaines, telles qu’Apple, Facebook et Youtube, ont suivi la même voie.
Pour le moment, il n’est pas facile pour ces derniers de tirer leur épingle du jeu au milieu d’une multitude de programmes – on attend de voir ce que donneront les projets d’Apple et Facebook. C’est probablement pour cette raison (et d’une promotion inexistante) qu’on était passé totalement à côté d’Impulse, série de Youtube plus ou moins présentée comme un spin-off de Jumper. Il faut dire que prendre comme base un film aussi moyen que Jumper, réalisé par Doug Liman et d'après le roman de Steven Gould, cela n’a rien de très engageant. Et l’idée de proposer une énième série d’aventure SF pour adolescent n’a aujourd’hui plus rien d’original. Pourtant, bien mal nous en a pris de mettre de côté Impulse, qui tend davantage vers le drame et porte sur des questions sociales.
Loin des super-héros, plus près du trauma
Créée par Jeffrey Lieber et avec Doug Liman en producteur exécutif (et réalisateur du pilote), Impulse part d’un concept assez classique. Henriette, surnommée Henry, est atteinte de crises d’épilepsie. Pendant l’une d’elle, survenue suite à la pression d’un professeur, des objets commencent à se déplacer. On le comprendra assez vite : Henry a donc des pouvoirs de télékinésie, et parviendra bientôt à se téléporter, comme le laisse entendre la scène d’introduction. Une téléportation propre aux « jumper », que mettait en scène le film de Doug Liman.
De plus, cette représentation d’héroïne adolescente a, elle aussi, été déjà vue maintes et maintes fois. Henry est une jeune fille rebelle (on le voit à ses jeans troués et son casque sur les oreilles), hautaine et cynique. Tandis qu’on pensait passer notre tour après le premier épisode, l’élément déclencheur du show change la donne. Dans la voiture de Clay, sportif populaire du lycée avec qui Henry commence à flirter, les deux jeunes s’embrassent. Mais Clay devient un peu trop insistant. Henry tente de le repousser, lui indiquant à plusieurs reprises son refus d’aller plus loin, mais le garçon ne s’arrête pas et la force. La relation n’est plus consentante et on assiste alors à une agression sexuelle qui aurait pu aller jusqu’au viol sans une nouvelle crise d’Henry. C’est à la suite de celle-ci, qu’elle se téléporte dans sa chambre tandis que la voiture s’écrase sur Clay.
Tout l’intérêt d’Impulse ne se trouve donc pas dans son récit de science-fiction, ni même dans une sous-intrigue policière - qui voit Bill Boone, le père de Clay, mener un business de drogue. Des éléments très secondaires à côté du traitement offert à Henry, chargée d’incarner une victime de violence sexuelle. Durant les dix épisodes de la première saison, l’héroïne va passer à travers les étapes du traumatisme. Cauchemardant de la scène vécue, imaginant une fin alternative, pensant avoir donné les mauvaises indications, et même culpabilisant de l’état de Clay, alors à l’hôpital. Concernant ce dernier, la série met dans une position délicate. Difficile de savoir s’il faut le prendre en pitié, en considérant que son état suffit comme punition de son acte, ou s’il mérite son sort et devrait même être dénoncé aux autorités.
Entre 13 Reasons Why et The Sinner
Comme nous, Henry reste indécise. Tantôt dans le déni, tantôt dans le mensonge car incapable d’en parler. Mais à aucun moment la série minimise son agression. Rappelant par Jenna, la fille du copain de sa mère, qu’elle est bien la victime dans cette histoire. C’est d’ailleurs par cette dernière que la série montre ce qu’est une vraie relation sexuelle consentie. Ainsi, en voyant le discours presque éducatif qui se cache derrière Impulse, difficile de ne pas penser à 13 Reasons Why. La série Netflix avait fait beaucoup parler d’elle en mettant en lumière le harcèlement scolaire. Comme elle, Impulse veut dénoncer (ici les violences sexuelles) de manière frontale. D’ailleurs, Youtube va jusqu’au bout de sa démarche en incluant en fin de chaque épisode un bandeau avec le numéro de Rainn, l’organisation d’aide aux victimes d’abus aux Etats-Unis.
Alors, en étant enrobée d’une intrigue de science-fiction et d’aventure, avec tout un tas de références au genre super-héroïque, Impulse parvient à être originale sans jamais dénaturer le propos majeur. Tout comme le faisait l’excellente The Sinner, qui adoptait le genre du thriller et mettait, en fin de saison, en avant les conséquences d’un viol. Enfin, on pourrait évoquer la saison 6 de Buffy contre les vampires dans laquelle la relation entre Buffy et Spike devenait de plus en plus malsaine, allant jusqu’à une tentative de viol laissant l’héroïne sous le choc. Un traitement de la psychologie des victimes qui est malheureusement trop souvent bâclé – combien de fois avons-nous vu au cinéma ou dans les séries un personnage être agressé et continuer sa vie comme si de rien n’était ?
Une saison, et puis quoi ?
Durant cette première saison, Impulse a ainsi su aborder la psychologie d’Henry avec intelligence. Interprétée par Maddie Hasson, cette dernière se révèle bluffante dans les passages les plus tragiques, notamment en jouant une crise de panique et de rage après avoir confronté Clay. Et si l’agression sexuelle est au cœur de la série, d’autres sujets importants de société sont traités. Impulse évoquant l’homosexualité cachée chez les adolescents, la différence de traitement pour les Afro-Américains, ou encore la difficulté à intégrer tout type de handicap, comme l’autisme de Townes. Un personnage, certes un peu caricaturé (c’est évidemment lui qui s’approche le plus du geek et qui viendra en aide à Henry sur tout ce qui concerne les super-pouvoirs), mais logique dans la démarche générale du show.
Cependant, si durant cette première saison Impulse se montre fascinante à plus d’un titre, il n’est pas sûr que la seconde, déjà commandée par Youtube, dispose de la même pertinence. Forcément, la violence sexuelle ne sera plus au centre du récit. Henry ayant réglé plusieurs problématiques liées. La série devrait donc s’attarder davantage sur la part surnaturelle. Avec son père, disparu il y a des années, et surtout le mystérieux agent « jumper », chargé de retrouver des personnes dotées des mêmes capacités. Espérons que cette intrigue ne s’essoufflera pas trop vite et que la saison 2 aura vraiment des choses à apporter.
Impulse créée par Jeffrey Lieber, disponible sur Youtube Premium depuis le 6 juin 2018. Ci-dessus la bande-annonce.