CRITIQUE/AVIS SÉRIE - Alors que c'est avec une certaine émotion qu'on a vu se terminer en 2020 "Le Bureau des légendes" et "Engrenages", le département de la création originale de Canal + vient réchauffer les coeurs avec la série "La Flamme". Une parodie hilarante du Bachelor, créée par Jonathan Cohen, interprétée par lui-même et un formidable casting de comédiennes au sommet, et une réussite totale.
Chez Canal +, il y a deux catégories de créations originales. La première, la plus ambitieuse, est celle dans laquelle on range les séries aux cours plutôt long et souvent prestigieux, dramatique, comme par exemple Le Bureau des légendes, Engrenages, Braquo, Mafiosa. Il y a ensuite d'autres créations, sur un versant plus comique et dont le format, le genre, le sujet, assument une sorte d'humilité et une ampleur moindre. Des créations comme Bref, Bloqués, H, ou encore Platane. Mais il arrive bien, dans le cas de H ou Platane par exemple, qu'une série a priori nichée ou très décalée aille convaincre bien au-delà de sa première intention et devienne presque instantanément culte.
Allons au fait : la nouvelle création originale de Canal +, La Flamme, créée par Jonathan Cohen, Florent Bernard et Jérémie Galan, est un petit monument de télévision, un programme parodique qui sur sa seule légèreté et son goût du délire déploie un génie comique comme on en voit que trop rarement.
La Flamme : brillant remake français d'une parodie américaine
L'idée de La Flamme, c'est de parodier l'émission américaine The Bachelor, diffusée depuis 2002. Le principe en est simple : un célibataire a priori séduisant et à la carrière accomplie cherche l'amour, et pour le trouver il "dispose" de 25 prétendantes - 13 dans La Flamme - prêtes à plus ou moins tout pour être l'élue de son coeur. On aurait ainsi pu, presque 20 ans après la création d'un programme de télé-réalité rétrograde, flairer le coup facile d'une parodie qui utiliserait le sexisme et le voyeurisme pour arriver à ses fins.
Mais l'idée n'est pas si simple, ou directe, ou même neuve. Il y a en effet l'inspiration plus que revendiquée de la parodie américaine Burning Love, produite notamment par Ben Stiller, que La Flamme reproduit quasi à l'identique, pour les situations et les personnages. D'une manière générale, on reconnaît donc tout l'univers et l'influence des productions du Frat Pack (composé entre autres de Ben Stiller, Will Ferrell, Owen et Luke Wilson, Steve Carrell), une fascination chez Jonathan Cohen. Ainsi, en reprenant le principe d'un personnage principal conducteur stupide et très faillible de l'aventure, et en allant plus loin que la version américaine, La Flamme peut emmener son écriture dans les zones les plus risquées et rire avec tout.
Marc, le personnage interprété par Jonathan Cohen et dont la bêtise est vertigineuse, est un con, de manière univoque, et cela crée une licence pour sortir toutes les horreurs qui lui passent par la tête. S'ensuivent des quiproquo très drôles, des malentendus gênants, des dialogues totalement absurdes et des situations improbables, dans un vertige comique qui semble n'avoir pas de fin.
Jonathan Cohen, une série pour un sommet
Ce qui est génial, c'est que Jonathan Cohen sublime une partie de son histoire avec Canal, après deux programmes courts, Bloqués et son spin-off sur son personnage, Serge le mytho où son talent avait libre cours et pouvait reléguer ses partenaires à l'arrière-plan. Acteur comique de génie, on pouvait cependant craindre que ce programme, La Flamme, ne soit celui de trop. Bien au contraire, tout en gardant le premier rôle - il est le coeur à prendre-, il agit surtout en rôle-support pour les autres comédiennes et comédiens de La Flamme. En quelque sorte, il est à chaque épisode le rôle secondaire de la prétendante à qui l'épisode est consacré.
Il y a Soraya (Adèle Exarchopoulos), la jeune femme à qui on a greffé un coeur de singe. Il y a Anne (Ana Girardot), la jeune femme parfaite, belle, sympa, intelligente et aimable, que Marc évidemment déteste. Il y a Valérie (Doria Tillier), incarnation larmoyante de la non-confiance en soi, et Alexandra(Leïla Bekhti), une psychopathe bien décidée à être la seule survivante, pardon, la gagnante (mais son jeu à elle est différent)... Il y a la lesbienne infiltrée, venue elle aussi chercher l'amour parmi les prétendantes (Géraldine Nakache), la catholique forcenée Victoire (Laure Calamy), la SDF obsédée par la chaleur (Céline Sallette), l'aveugle agaçante (Florence Foresti), et encore d'autres à découvrir... Parmi donc les traits de génie de La Flamme, il y a cette idée que ce sont les prétendantes les rôles les plus riches, et que ces rôles méritent les meilleures incarnations possibles. Et Jonathan Cohen a ce pouvoir, celui de permettre l'existence de personnages surprenants et inédits - comme récemment dans Énorme avec le personnage du chaman.
Jonathan Cohen est ainsi le parfait faire-valoir d'un humour très accompli et de personnages fascinants, composant des réparties géniales avec un rythme soutenu, sans fausses notes. À côté des prétendantes, il y a toute une galerie d'intervenants, faux experts qui ont eux aussi leurs moments. Mention spéciale pour Pierre Niney en psychologue-charlatan hilarant, et Vincent Macaigne en SDF amoureux. En face de Jonathan Cohen, Vincent Dedienne est parfait dans le rôle faussement sobre du présentateur qui tente tant bien que mal de garder Marc sur les rails.
Quand le talent surpasse la répétition formelle
Il y a des moments forts et faibles, inévitables vu la nature du format. Avec l'élimination d'une prétendante par épisode, on évite qu'en partie de subir la redondance de la forme, et à mesure que disparaissent les prétendantes, une hiérarchie des performances se dessine. Toutes les actrices sont formidables, mais elles ne disposent pas du même temps à l'image, et on préfèrera évidemment certains personnages à d'autres, certains épisodes à d'autres. Mais cette inégalité des épisodes peut rester un détail, parce que le niveau est très élevé et la succession de fous rires vaut bien quelques moments plus calmes.
La Flamme est une très belle fête, c'est même plusieurs fêtes à la fois. La fête d'un exceptionnel casting de comédiennes et comédiens de grand talent, la fête d'une série de la création Canal, la fête aussi d'un humour absurde, décomplexé et libéré. Si elle est si réussie, malgré sa mise en scène très codée et redondante - parodie du programme télé oblige - c'est parce que Jonathan Cohen a d'une part réussi à traduire parfaitement, ici et maintenant, le génie américain dont il s'inspire, et que d'autre part il a trouvé avec ses collaborateurs Jérémie Galan et Florent Bernard le dosage parfait pour ouvrir un territoire comique infini, dans lequel il a invité une brillante équipe de comédiennes et de comédiens à s'éclater, et qui s'y subliment.
La Flamme, sur MyCanal et Canal + à partir du 12 octobre. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.