CRITIQUE / AVIS SERIE – L’adaptation en série de l’œuvre d’Elena Ferrante se poursuit avec « L’Amie prodigieuse » saison 2, qui voit les jeunes Lila et Lenu grandir et le récit s’enrichir toujours plus.
Dans la première saison de L’Amie prodigieuse, adaptation réussie de l’œuvre littéraire éponyme d’Elena Ferrante, on faisait la connaissance de deux jeunes filles vivant dans la pauvreté d’une banlieue napolitaine dans les années 1950. D’un côté Elena, dite « Lenu », sage et passive, et de l’autre Raffaella, dite « Lila », au caractère fort et qui ne se laisse jamais dominer. Toutes les deux nouent une relation d’amitié forte qui va grandir au fil des ans et se poursuivre, en dépit d’éloignements récurrents.
En effet, alors qu’on retrouve au début de cette saison 2 nos deux jeunes héroïnes juste après le mariage de Lila, gâché par la venue des Solara, celle-ci va vite déchanter. Violence et viol marital, quasiment sous les yeux d’une famille lâche qui n’ose rien à y redire pour assurer ses intérêts. L’union qui devait la sortir de sa condition ne faisant que créer une nouvelle obligation, celle d’offrir à son mari un enfant, mais attisant en même temps chez elle un esprit d’opposition toujours plus fort quand tous voudraient la dompter.
Opposition de classes et de caractère
Dès lors Lila devient un personnage dramatique encore plus intéressant, incarnant l’impossibilité de sortir de sa condition, de grimper dans l’échelle sociale. Elle s’en rend d’ailleurs compte lors d’une soirée chez une professeure de Lenu, où se pavanent des jeunes pseudo-intellectuels. Si elle prend conscience de l’écart entre les mondes, elle montre également que celui qu’elle observe n’a rien de si enviable. Des « perroquets » qui ne sont bons qu’à se dandiner sur un twist, à la manière de ceux qui dansaient un Madison à la fin de La Corruption (1963) de Mauro Bolognini devant un Jacques Perrin effaré.
Il naît ainsi en elle une sensation d’infériorité, d’autant plus difficile à accepter que, face à elle, Lenu est vouée à un meilleur avenir en poursuivant ses études – grâce à des parents moins opposants que les siens. Raison pour laquelle on assiste à un comportement passif-agressif, du moins de la part de Lila envers Lenu. Et ce, jusqu’à Ischia où elles iront au milieu de la saison 2. Un passage « romantique » à part où la jeunesse se révèle et où grandissent des amours sulfureux provoqués par la présence de Nino et son ami Bruno. Une partie qui permet également de faire prendre conscience de la relation fusionnelle entre les deux filles, qui, plutôt que d’être deux opposées, forment un tout. Lila, en suivant ses pulsions et son instinct, peut s’apparenter au ça freudien, quand Lenu, par son intériorisation et son obéissance aux règles serait le surmoi.
En effet dans cette saison 2 de L’Amie prodigieuse Lenu garde encore cette position passive qui risque d’agacer. Cependant, son caractère apathique devient une nécessité, une intelligence d’écriture, car il permet de garder un regard extrêmement neutre sur les choses. Lenu ne prend jamais vraiment parti, et ainsi elle laisse au spectateur la possibilité de découvrir les uns et les autres en toute transparence, sans influence de la narratrice. Ainsi, ses décisions d’adolescente immature et inexpérimentée, ses actes et ses rancunes enfouies, ne devraient pas empêcher l’empathie pour son personnage. Notamment durant une séquence oppressante d’ébats entre elle et le père de Nino, homme immonde qui l’agressait sexuellement dans la saison 1.
Enfin, si les deux tiers de la saison 2 de L’Amie prodigieuse maintiennent encore dans une sorte de cocon adolescent des plus plaisant, le troisième acte reste probablement le plus passionnant sociologiquement et historiquement. On pouvait déjà noter la grande précision dont fait preuve la série, dans les détails et dans chaque élément de décors qui renvoient à une époque révolue. Mais cette fois, on retrouve quelque chose du néoréalisme italien.
Dans ses deux derniers épisodes, L’Amie prodigieuse se déroule en partie à Pise aux côtés de Lenu, et capture un moment particulier de l’Histoire italienne. Celui où une scission s’opère entre les générations à l’approche de révoltes étudiantes et ouvrières, dans la deuxième moitié des années 1960, tandis que la modernisation de la banlieue de Naples commence à se faire sentir. Des éléments qui permettent d’enrichir cette émouvante saga romanesque qu’est L’Amie prodigieuse avec une ouverture toujours plus tragique vers une saison 3 qu’on attend de pied de ferme.
L'Amie prodigieuse créée par Saverio Costanzo, la saison 2 sur MyCanal à partir du 2 avril 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.