CRITIQUE / AVIS SÉRIE - Dans "Le Serpent" Tahar Rahim rentre dans la peau de Charles Sobhraj, un escroc et tueur qui aurait sévi en Asie dans les années 1970. Une mini-série à découvrir sur Netflix.
Le tueur Charles Sobhraj au centre de la série Le Serpent
Si les criminels ont toujours fasciné, il peut être délicat de les traiter à l'écran, surtout lorsqu'ils ne sont pas fictifs. En effet, le risque est d'en faire un personnage trop séduisant aux yeux du public qui en oublierait presque l'horreur des crimes et ses victimes. Ce fut récemment le cas pour la série fictionnelle You, qui met en scène un psychopathe. Une partie du public a totalement occulté sa folie pour l'idéaliser et en faire un objet de désir. L'interprète Penn Badgley avait alors dû recadrer des fans et expliquer qu'il n'y a rien de romantique chez son personnage. Dans le cas de la série Le Serpent, produite par la BBC et disponible en France sur Netflix, Tahar Rahim incarne Charles Sobhraj (dit "Le Serpent"), un tueur qui aurait sévi dans les années 1970 en Asie sous différentes identités (notre interview ici). Si le programme s'inspire de faits réels, les dialogues ont eux été imaginés.
L'acteur français rentre parfaitement dans sa peau, comme en atteste la première séquence. On y découvre l'homme à la fin des années 1990 durant un entretien avec une journaliste. Cette dernière lui demande s'il a "échappé à la justice", et Sobhraj garde le silence. Une entrée en matière glaçante, qui intrigue immédiatement pour la suite. Car si les faits sont connus, comment a-t-il pu s'en sortir ?
Une fois notre intérêt capté, Le Serpent trouve une certaine justesse pour éviter justement de basculer dans une approche romantique de Sobhraj. Pourtant, on ne peut nier que celui-ci dégage une aura qui lui permet, dans un premier temps, de faire rentrer la Québécoise Marie-Andrée Leclerc dans sa vie et d'en faire sa complice. La force de la série est alors d'alterner entre le portrait fascinant de l'homme et une enquête.
Un traitement judicieux des victimes
Pour cela, la série joue avec la temporalité. Chaque épisode montre au moins deux périodes en parallèle. Ainsi, tandis qu'on suit l'enquête menée par Herman Knippenberg, un diplomate néerlandais de l'ambassade des Pays-Bas à Bangkok, la série revient 2 mois, 6 mois ou même 2 ans en arrière pour montrer comment les méfaits se sont produits. Surtout, de nombreux passages se concentrent sur les victimes, prenant le temps de les introduire avant leur rencontre avec Sobhraj, permettant ainsi de les humaniser, eux, et de rendre les actes de leur meurtrier plus intolérables.
C'est le cas dès l'épisode 2. Jusque-là, la série peut sembler faire des choix de mise en scène contestables en adoptants justement un style parfois "romantique". On pense à l'utilisation de musiques de Gainsbourg ou de Dutronc, presque trop agréables aux oreilles dans un tel contexte. Mais ces éléments servent justement à renforcer le contraste. Une fois que la victime est identifiée, que le spectateur a eu le temps de naviguer avec elle, le piège qui commence à se refermer sur elle devient étouffant, atteignant un paroxysme d'horreur. Une utilisation de la musique ainsi pertinente et reproduite en fin d'épisode avec cette fois la voix d'Aznavour qui peine à couvrir des cris.
Un portrait qui évite les fausses notes
Le Serpent gagne ainsi en intensité et intérêt au fil des épisodes. Les nombreux personnages secondaires qui entourent Sobhraj permettent à la série de l'observer sous différents angles. Mais c'est bien l'enquête de Knippenberg qui reste l'élément le plus passionnant. D'une part, car la série pointe l'inaction des autorités et des ambassades. Et d'autre part, car chaque nouvel élément découvert permet de mieux comprendre qui est Sobhraj. Contrairement à des tueurs en série animés d'une pulsion meurtrière, Charles Sobhraj est avant tout un escroc. Il séduit ses victimes, se montre d'abord amical et serviable avant de les détrousser. Et ce, avec la complicité de sa compagne, Marie-Andrée, et d'Ajay Chowdhury, son homme à tout faire.
Bien qu'il se justifie souvent en évoquant le racisme dont il a pu être victime toute sa vie (né d'une mère vietnamienne et d'un père indien, son métissage pose problème en France), il se révèle être avant tout un grand manipulateur et menteur, refusant toute remise en question. Le Serpent parvient ainsi à faire grandir la détestation et l'effroi du public envers lui, sans que l'intérêt pour la série ne faiblisse.
Encore une fois, pour l'incarner, Tahar Rahim fait là un travail remarquable. À ses côtés, en dépit d'un accent québécois peu crédible, la comédienne anglaise Jenna Coleman s'en sort avec les honneurs. On notera aussi la présence de Mathilde Warnier (Nadine Gires), qui porte toute la tension d'une partie de la série, et l'efficace duo formé par Billy Howle (Herman Knippenberg) et Ellie Bamber (Angela Knippenberg). Un ensemble qui, à défaut de faire de Le Serpent une très grande série, en fait un objet suffisamment captivant sur le moment.
Le Serpent créée par Richard Warlow et Toby Finlay, disponible le 2 avril 2021 sur Netflix. Ci-dessous la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.