CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Little Fires Everywhere", avec Reese Witherspoon et Kerry Washington, plonge le spectateur dans une relation toxique entre deux femmes et démontre de façon remarquable comment de petits grains de sable parviennent à bouleverser des vies bien réglées.
Celles et ceux qui connaissent les romans de Celeste Ng savent qu’elle critique avec beaucoup de sensibilité et de profondeur la société américaine par le double prisme du culte de la performance et du racisme. Little Fires Everywhere (série d'Hulu diffusée en France sur Amazon Prime Vidéo) est l’adaptation éponyme de son deuxième roman, sous la direction de la showrunner Liz Tigelaar. L’écrivaine est aussi coproductrice aux côtés des deux actrices principales et de Lynn Shelton - l’une des trois coréalisatrices, décédée brutalement il y a quelques jours.
La série est une vraie réussite dans le sens où, grâce au parcours et à la rencontre de deux femmes très différentes, elle interroge aussi sur ce qu’est être une mère, sur l’amour qu’une mère est censée éprouver pour ses enfants, sur la nécessité de couper parfois le cordon et sur le sens des liens du sang.
Elena Richardson (Reese Witherspoon) et Mia Warren (Kerry Washington) n’ont rien en commun, si ce n’est le fait d’être justement des mères. L’intrigue se situe en 1997 et donne à voir Elena, jeune femme blanche, qui vit à Shaker Heights, dans la banlieue riche de Cleveland, dans l'Ohio. Elle est journaliste à mi-temps tout en ayant à élever, avec son mari avocat Bill (Joshua Jackson), leurs quatre enfants Trip (Jordan Elsass), Lexie (Jade Pettyjohn), Moody (Gavin Lewis) et Izzy (Megan Stott).
La vie d'Elena est réglée au millimètre près, sans place pour les surprises. Exigeante, elle destine tous ses enfants à des études supérieures, avec une forte pression que tous ne supportent pas de la même manière. Ainsi Izzy, adolescente en totale opposition avec sa mère (classique), est le vilain petit canard de la portée. La réussite est le maître-mot de cette famille, et la série déconstruit brillamment le mythe de la femme-mère parfaite que s’est créée Elena. Elle va au-delà des apparences et des faux-semblants, montrant des femmes qui ne sont pas forcément ce qu’elles donnent à voir d’elles-mêmes.
Les mères font parfois des mauvais choix
Ce qui est intéressant dans Little Fires Everywhere, c'est de découvrir en même temps qu'Elena l'explosion de la vie de sa famille, parce qu'elle a fait entrer le loup dans la bergerie, en l'occurrence Mia et sa fille adolescente Pearl (Lexi Underwood). Celles-ci sont Afro-américaines et vivent dans une voiture, errant de ville en ville. Mia est artiste et trouve des petits boulots pour survivre. Elena se comporte comme elle pense qu’une femme parfaite doit se comporter : altruiste et pleine de bonnes intentions. Le souci, c’est qu’en agissant sans forcément penser à mal et en intervenant pour rendre service et régler les problèmes par le pouvoir qu’elle possède, Elena met souvent les personnes qu’elle aide dans l’embarras et dans l’impossibilité de rembourser leur dette morale.
Ainsi, en acceptant de louer à Mia la maison de ses parents, en lui proposant de l’engager pour l’aider sans sa maison ou en accueillant Pearl comme sa propre fille, elle va contribuer à recréer des rapports de classe sociale dominant-dominé et à déclencher les flots de ressentiments qui vont submerger sa propre famille. Ou en aidant son amie Linda (Rosemarie DeWitt) qui vient d’adopter une petite fille d’origine asiatique, que sa mère biologique essaie de récupérer avec l’aide de Mia. Little Fires Everywhere offre ainsi des réflexions passionnantes portant sur le racisme présupposé ou réel des blancs envers les Afro-américains ou les Asiatiques, sujets qui bouleversent encore les États-Unis aujourd'hui.
Le choc n’aura pas lieu seulement entre les deux mères, dont la dégradation de la relation est très bien saisie. Il aura aussi lieu dans les relations que tissent entre eux les adolescents, leurs amours naissants, leurs erreurs de jugement ou leurs violations de confiance. La série donne aussi à voir que les ressemblances mères-filles sont loin d’être évidentes, les filles pouvant décider de se choisir d’autres mères par procuration. Ce qui provoque jalousie, fissuration d’un socle que les mères croyaient pourtant solides, et guerre ouverte.
C’est bien Elena qui allume sans le vouloir les nombreux petits feux de Little Fires Everywhere, dont le spectateur perçoit la tension qui monte crescendo et l’ampleur potentielle des dégâts. Les pièces du puzzle se mettent subtilement en place et permettront de comprendre les origines, inattendues, du feu qui ravage la maison d’Elena, première scène de la série. Trois petits bémols toutefois : autant le portrait d’Elena est très bien dressé, tout en nuances, et provoque une forte empathie, autant on reste plus circonspect à propos de celui de Mia. Ses multiples secrets de jeunesse, ses pleurs, son ultra émotivité, ses réactions à fleur de peau exagérées envers le monde d’Elena et son intérêt pour le bébé de son amie chinoise, sont peu crédibles et fatiguent à la longue. On regrette aussi l’usage trop fréquent du procédé de flashback et dans l’épisode portant sur la jeunesse des deux femmes le peu de ressemblances entre les jeunes actrices et leurs aînées.
Little Fires Everywhere se révèle néanmoins un drame psychologique passionnant qui aborde avec brio de nombreux sujets, tels le féminisme, la maternité, l'adoption, l'amitié entre femmes, la sexualité des jeunes, le harcèlement scolaire, le pouvoir, le racisme et le poids des apparences.
Little Fires Everywhere créée par Liz Tigelaar, diffusée sur Amazon Prime le 22 mai 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.