CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Mytho" est une série jubilatoire et pleine de surprises, qui fait réfléchir aux dommages collatéraux d’un mensonge. Avec les excellents Marina Hands et Mathieu Demy.
À partir du 10 octobre, mais dès cette semaine en intégralité sur Arte.tv, on pourra voir sur Arte la très bonne série Mytho. Ultra réaliste, elle ne paye pas de mine, mais son humour et sa puissance de réflexion sur la société actuelle en font une série à ne pas manquer. Surtout qu'elle est réalisée par Fabrice Gobert, connu pour ses films et séries empreints de fantastique et d’inexpliqué (Les Revenants, Simon Werner a disparu), et Mytho n'en est pas exempt. On a rencontré l’équipe du film au dernier Festival Fiction de La Rochelle, et le producteur Bruno Nahon (Ainsi soient-ils), à l'origine du projet, dit l’avoir choisi « parce qu’il aimait son univers et parce que le rire demande la même précision que le genre ». Tout comme il a demandé d’écrire le scénario à la romancière Anne Berest, qui a proposé d'aborder la « tectonique des plaques familiales qui bougent », car elle venait de traverser l’épreuve du cancer de sa mère.
Mais ne fuyez pas pour autant à l’annonce du sujet de fond, car l’originalité de Mytho est précisément dans le traitement du sujet, le ton décalé et la surprise de scène en scène. Car pour la scénariste, il fallait certes « respecter ceux qui y sont vraiment confrontés », mais aussi garder à l’esprit qu’on pouvait faire rire sur la maladie. Mytho décrit ainsi la vie banale d’Elvira (Marina Hands), femme lambda en couple avec Patrick (Mathieu Demy). Un couple qui s’est oublié, usé par la vie, le travail, leurs trois enfants, avec lesquels ils sont plutôt débordés et permissifs : les deux adolescents Carole (Marie Drion) et Sam (Jérémy Gillet), et une petite fille ultrasensible, sans doute surdouée, Virginie (Zélie Rixhon).
La charge mentale est complètement sur les épaules d’Elvira, présentée comme épuisée et plutôt seule. Elle est très (trop) gentille, toujours à l’écoute de toutes et de tous. Elle ne crée pas particulièrement l’empathie, tant elle met de côté ses propres besoins pour rendre service à sa famille, son amie Isa (Julia Faure) ou encore le patron de sa boîte d’assurance (Yves Jacques). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son boulot consiste à régler des sinistres alors qu’elle-même ne voit pas à quel point sa vie est sinistrée et n’est pas loin de se fendiller de tous côtés.
On ne se dit jamais assez "je t’aime" dans une famille
Mytho soulève des questions fondamentales et passionnantes : comment faire pour préserver le lien au sein d’une famille ? Comment maintenir l’affection et la complicité entre les membres, tout comme la confiance ou simplement le plaisir d’être ensemble? Car Elvira sent bien que ses efforts logistiques ne suffisent plus pour susciter le bonheur de sa famille. Bonne poire, elle n’a en retour aucun respect de la part de ses proches, qu’elle porte pourtant à bout de bras : ils la négligent, lui parlent mal. Bref, pour eux, elle est invisible.
Et comme souvent dans ces cas d’impossibilité d’exprimer le malaise ressenti, c’est le corps qui s’y colle. Et c’est une petite boule sous le sein gauche, maligne ou magique, qui va pourtant offrir à Elvira l’opportunité d’attirer l’attention et l’affection de son entourage et de faire changer le regard sur sa personne. Un petit mensonge anodin tout d’abord, dont on sait qu’il est sans conséquences et qu’il peut facilement être rattrapé. Le film On ment toujours à ceux qu’on aime de Sandrine Dumas en parlait déjà très bien. Mentir sur le fait qu’on a une tumeur sans doute cancéreuse est certes amoral, même si, du point de vue d’Elvira, ça ne fait de mal à personne… a priori. Car évidemment Elvira sera confrontée à une vraie malade, Jane (Maud Wyler), et ses réactions seront pour le moins inattendues.
Mytho montre parfaitement la transformation d’un mensonge : d’abord une attelle, il est ensuite consolidé, renforcé, légitimé. Et puis, le mensonge fait boule de neige, assis sur le socle du précédent, et empêche de faire marche arrière. Enfin, véritable point de bascule, son contrôle en est perdu, car les autres protagonistes s’en emparent et le font leur. Dès lors, avouer l’un des mensonges, c’est faire effondrer le château de cartes des autres. Et précisément, le spectateur assiste à cet effondrement de l’engrenage infernal. Et c’est assez jubilatoire.
Un des autres aspects réussis de la série, c’est la capacité à mettre d'emblée le spectateur dans une confidence qu’Elvira ignore : car chaque membre de sa famille a son jardin secret et nage aussi dans le mensonge. Et Elvira va les découvrir peu à peu. Patrick a ainsi une liaison avec la pharmacienne, Brigitte (Linh-Dan Pham); Carole est une rebelle qui joue, à l’insu de ses parents, à des jeux dangereux. Sam, dont ses parents savent pourtant qu’il est en opposition avec le genre qui lui a été assigné à la naissance, ment à son correspondant allemand. Il y aura bien d’autres mensonges, plus ou moins bien choisis et amenés dans l’intrigue, certains crédibles et d’autres un peu trop gros. On pourra aussi reprocher à la scénariste d’avoir semé dès la saison 1, tel le Petit Poucet, trop de pistes qui, tels des petits cailloux, donnent surtout envie de savoir ce qu’il se passera lors de la saison 2, déjà écrite et en tournage dès février 2020.
Grâce à l'interprétation très juste de chaque membre du casting, Mytho est donc une série ancrée dans le quotidien de bien des familles, qui outre les dommages collatéraux d’un mensonge, fait subtilement réfléchir à de nombreux autres sujets du XXIème siècle. Ainsi le sens de la famille, le mariage, l'éducation des enfants, le rapport à la maladie et au travail, mais aussi le mal-être adolescent, l’homophobie, la transphobie ou encore le rôle des réseaux sociaux et des blogs, la solitude, l’anxiété sociale et finalement sa place au monde.
Mytho créée par Fabrice Gobert et Anne Berest, diffusée sur Arte le 10 octobre 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.