CRITIQUE / AVIS SÉRIE - " Perry Mason" par HBO est le prequel très réussi de la série éponyme diffusée entre 1957 et 1985, qui part à la rencontre de Perry Mason à Los Angeles en 1932, avant qu’il ne devienne avocat.
Il faut toujours un peu de temps et de nombreuses filatures sans importance avant qu’un détective rencontre l’affaire, avec un grand A. Celle qui va changer radicalement son existence et sa façon d’envisager le monde. Au début, c’est juste un job comme un autre, et puis le détective fait connaissance avec les protagonistes, dont les émotions et la solitude résonnent avec les siennes. Alors il comprend que cette affaire est bien plus complexe qu’il n’y parait et il n’a d’autres choix que de s’en saisir pleinement et de la résoudre, parfois au péril de sa vie.
C’est ce qui arrive à Perry Mason (Matthew Rhys), sollicité par son vieil ami avocat Elias Birchard, dit EB (John Lithgow) pour lequel il travaille depuis son retour de la guerre en France. Le Perry Mason qu’on nous donne à voir est un homme meurtri par les horreurs qu’il a vues et faites pendant les combats dans les tranchées, un homme qui a perdu foi en l’humanité. Divorcé, il voit très peu son fils Terry et entretient une liaison assez malsaine avec une femme de caractère (Veronica Falcon), propriétaire du terrain d’aviation qui jouxte la ferme de ses défunts parents et qui insiste pour la lui acheter.
Un petit garçon encore bébé, Charlie Dobson, a été tué alors qu’il faisait l’objet d’une demande de rançon. Meurtre sordide s’il en est. Perry et son collègue Pete Strickland (Shea Whigham) enquêtent pour le client de EB, un riche magnat de l’immobilier, qui leur demande de venir en aide aux parents endeuillés, Matthew (Nate Corddry) et Emily (Gayle Rankin). Ils sont tous les trois membres de la Congrégation que dirigé Sœur Alice (Tatiana Maslany) avec sa mère (Lili Taylor). Les deux hommes découvrent que les parents ont chacun, comme dans toute bonne enquête qui se respecte, de lourds secrets à cacher.
On ne peut évidemment rien spoiler de ces huit épisodes de Perry Mason, mais argent, adultère, croyance, emprise, détournements de fonds, corruption et autres meurtres sont parties prenantes de cette série passionnante à plus d’un titre. D’abord, le contexte de la ville de Los Angeles de 1932 est très bien décrit par le réalisateur Tim Van Patten, sous la houlette des showrunners Ron Fitzgerald et Rolin Jones : grouillante et poisseuse à souhait, l’atmosphère s’inscrit dans la plus pure tradition du film noir, tels Chinatown ou Le Dahlia Noir.
Une enquête bouleversante
On y croise des flics sacrément corrompus, tels Holcomb (Eric Lange) et Ennis (Andrew Howard), et d’autres incorruptibles, tels l’Officier Drake (Chris Chalk), qui résiste aux demandes illégales de ses collègues et supérieurs, en échange d’une possible promotion. Car Drake est dans cette série de 2020 un policier de couleur, et au travers de son personnage, le racisme de l’époque est judicieusement évoqué. Quant aux cadavres observés par le détective dans la morgue du légiste Virgil (Jefferson Mays), lui permettant de glaner des pistes que lui seul peut suivre, ils sont plus que réalistes. Même si Perry est peu ému car il est habitué à la mort qu'il a côtoyée de très près, on conseille toutefois au spectateur d’avoir le cœur bien accroché, car aucun détail des cadavres n'est épargné : bébé, visages détruits par une balle ou corps ensanglantés et mutilés.
Perry Mason aborde aussi le sujet du féminisme, grâce au personnage haut en couleur de Della Street (Juliet Rylance), l’assistante incontournable de EB qui prend sous son aile Emily Dobson. Se crée alors autour de Perry un petit groupe qui ne croit pas en la culpabilité de la jeune mère : EB, Della et Drake. Sœur Alice se joint à eux, mais son côté mystique lui fait prendre un tout autre chemin. La description de la manipulation par son Église de ces fidèles désœuvrés, qui ont absolument besoin de croire en des miracles en cette période de Grande Dépression post-krach boursier de 1929, fait d’ailleurs froid dans le dos.
Face à eux, le District Attorney Maynard Barnes (Stephen Root) se saisit de cette affaire polémique et met à profit sa fonction, non au service de la vérité mais à son propre service pour se faire réélire au poste de Procureur. Il est autant capable d’échanger avec courtoisie autour d’un verre avec EB dans leur club de notable que de le mettre en difficulté dans le tribunal avec une extraordinaire mauvaise foi.
Ce qui est le plus intéressant dans la série, c’est d’assister à la transformation psychologique et physique de Perry Mason. Détective paumé, mal sapé, mal rasé, il apprend à devenir le célèbre avocat de la défense. Rasé de près, bien coiffé et habillé avec classe, bafouillant d’abord puis vite à l’aise dans sa prise de parole, mais surtout, retrouvant sa part d’humanité. La série fait subtilement pénétrer le spectateur dans la maison, l’intimité et l’histoire personnelle de Perry, mais aussi dans celles de EB, Della et Drake, créant une forte empathie envers ces personnages au grand cœur.
Il partage leurs soucis personnels, leurs abattements, leurs espoirs et leurs décisions radicales, parfois aussi leurs différents, mais toujours leur confiance et admiration mutuelles. Et sous ses yeux se constitue alors la fameuse future équipe de choc de Perry, celle connue par les fans de la série originale (Perry Mason de 1957). Grâce à son suspense très soutenu, ses rebondissements étonnants et à ses personnages singuliers et attachants issus des romans d'Erle Stanley Gardner, brillamment interprétés, la série Perry Mason se révèle remarquable, même pour les spectateurs qui ne connaissent pas la première série. À voir !
Perry Mason créée par Ron Fitzgerald et Rolin Jones, diffusée sur OCS à partir du 22 juin 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.