CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Possessions" est une série aux enjeux complexes qui mêle enquête policière et regard sur les croyances au XXIème siècle, et confronte habilement rationnel et irrationnel. Avec un casting exceptionnel, dont Reda Kateb et Nadia Tereszkiewicz.
Un mariage qui commence mal
La série franco-israélienne Possessions, créée par Shachar Magen en collaboration avec Valérie Zenatti et réalisée par Thomas Vincent, a autant de clés d’entrée qu’il peut y avoir de définitions possibles à son titre, et c’est ce qui la rend précisément fascinante. Le contexte géopolitique est l’une d’entre elles puisque les événements de Possessions ont lieu en Israël, dont il est reconnu par les historiens que le pays a brutalement pris possession des territoires palestiniens. Ces éléments apparaissent d’ailleurs en filigrane dans la série, instillant un imbroglio rare dans les relations entre les protagonistes.
Ainsi, même si la française Natalie (Nadia Tereszkiewicz) a émigré à Tel Aviv un an auparavant avec sa famille, le choc culturel et social entre elle et l’Israélien Eran (Imri Biton), son futur mari, n’est pas négligeable. De même entre la famille d’Eran et celle de Natalie, dont sa mère Rosa (Dominique Valadié), son père Joël (Tchéky Karyo) et ses deux sœurs Johanna (Judith Chemla) et Jessica (Aloïse Sauvage). Aux côtés de Louisa (Ariane Ascaride), l’amie de toujours, ils forment une famille plutôt bancale, dominée par Rosa, soumise à ses croyances et à son cœur sec, comme les paysages aux alentours.
Car Possessions, et c’est là la seconde clé d’entrée de la série, interroge brillamment sur l’impact du poids des croyances transmises depuis la nuit des temps dans la vie contemporaine de certains individus. Des individus qui ne vivent leur vie qu’au travers du vocabulaire religieux, parsemé de notions de fautes, de péchés, de punitions ou de rituels ancestraux, de cérémonies traditionnelles et de symboles ésotériques. La série n’hésite d'ailleurs pas à se positionner, mais toujours à bon escient, du côté de l’inexplicable et du surnaturel, montrant aussi des êtres carrément possédés par leur foi, voire sous l’emprise d’un être maléfique.
Le poids des croyances dans les familles
Enfin, l’amour, et surtout son pire côté, à savoir la possession et les brutalités qu’il peut provoquer en son nom, est évidemment au cœur de Possessions. Et notamment l’amour parfois déraisonné que suscite Natalie auprès de son mari, mais aussi de son beau-frère Shai (Roy Nik), de son ancien amant Alex (Corentin Fila) et d’autres encore. Mais la scène percutante du meurtre de Eran au moment de couper le gâteau ne semble laisser aucun doute sur la culpabilité de Natalie, qui tient encore le couteau ensanglanté entre ses mains.
Et pourtant, d’emblée, le spectateur est happé par la puissante mise en scène de Possessions, et ne relâche jamais son attention jusqu’à la fin. D’abord grâce au suspense haletant et aux nombreuses fausses pistes et hypothèses, mais aussi grâce à deux personnages importants qui entrent en lice et que les scénaristes de la série rendent attachants : Karim (Reda Kateb), vice-consul de France, qui apporte son soutien à sa ressortissante, et la policière qui l'interroge, Esti (Noa Koler).
Ces deux-là ont plusieurs points communs, comme celui d’être profondément empathiques, de suivre leur instinct ou de se remettre en question tout au long de leurs découvertes. Ils n’ont, semble-t-il, pas totalement pris possession de leur champ d’intervention et ne sont guère satisfaits de la place que leur octroient hiérarchie ou collègues, comme s’il leur fallait encore faire leurs preuves. Mais ils sont résolus à mener une enquête objective, et ne pas se contenter de considérer "la petite française" comme une folle. Ainsi Karim, d’origine maghrébine expatrié en Israël dont il est encore loin de maîtriser la langue, a du mal à se tenir en retrait malgré les conseils de la Consule (Hélène Alexandridis). Tombé en effet sous le charme mystérieux de Natalie, il semble autant intrigué par son récit de non-culpabilité que par les réactions inadéquates de sa famille, et ne peut se résoudre à rester à distance.
Esti revient d’un congé maternité après avoir travaillé dans un service plus social et est un peu moquée par son collègue Rafi (Tzahi Grad), que le sort de la jeune française n’émeut pas outre mesure. Mais surtout, Esti parle français et joue un rôle pivot entre les différents interlocuteurs. En abordant également la violence faite aux femmes, aussi bien physique que psychologique et historique, et la force de Natalie, Rosa, Louisa, Johanna, Jessica et Esti, Possessions dresse le portrait subtil d’une société complexe et interroge sur la façon de vivre le judaïsme au XXIème siècle, sur le poids des traditions ancestrales et sur l’éducation.
Possessions créée par Shachar Magen, sur Canal+ le 2 novembre 2020. Ci-dessus le teaser. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.