CRITIQUE SÉRIES- Canal + offre à partir du 12 novembre 2018 une série de la BBC One qui nous plonge dans l’intimité du tueur en série John Reginald Christie, à Londres entre 1940 et 1953. Et c’est Tim Roth qui incarne le héros de ce fait divers sordide, pour notre plus grand bonheur.
Des vies de tueurs en série portées à l’écran, on en a déjà vu beaucoup (Dexter, The Fall, L’Aliéniste…). Ce qui se passe dans la tête de ces tueurs a aussi été abordé, comme Mindhunter. L’originalité de Rillington Place, c'est le parti pris de traiter les points de vue des trois protagonistes principaux de cette histoire vraie. Un point de vue par épisode donc, sur les dix années qui s'étendent jusqu’à la révélation au grand public de l’existence des crimes de John Reginald Christie. Et malgré quelques allers-retours entre les trois épisodes de ce récit linéaire, cette montée en puissance apporte la tension anxiogène nécessaire pour se sentir très vite accroché et mourir d'envie de connaître les détails qui vont l’amener jusqu’à son arrestation. D'autant que les créateurs Ed Whitmore et Tracey Malone ont bien veillé à prendre le temps d'affûter les psychologies des personnages dans ces bas quartiers de Londres.
On fait d’abord connaissance avec Ethel Christie, qui n’a pas eu de nouvelles de son mari depuis neuf ans. Il réapparaît, plus mystérieux que jamais. Ce premier chapitre est lent, mais il ne faut pas se fier à l’ennui qui peut gagner, car il amène doucement mais sûrement à la compréhension du rôle de Ethel dans ces meurtres, qui fait partie des pièces du puzzle qui ne s’assembleront qu’à la fin. Ethel revient donc auprès de lui, tente de le questionner mais il se débrouille toujours pour esquiver ce qui le dérange par une pirouette ou un petit présent rare car ils n’ont pas d’argent. Et Reginald, qui demande souvent à sa femme de fermer les yeux pour recevoir ces cadeaux, lui demande aussi symboliquement de fermer les yeux sur ce qui se trame dans la maison.
Le spectateur est comme Ethel, il se doute de quelque chose, observe des signes et des bruits bizarres. Samantha Morton prête ses traits à Ethel, faisant brillamment osciller son personnage entre la femme amoureuse et la femme résignée sous l’emprise et la violence de son époux. Une violence qui ne se manifeste que lorsqu’Ethel tente de sortir de son rang de femme soumise, par sa curiosité ou pêchant par excès de confiance en elle. Car c’est la peur de cette violence et la honte de son propre comportement qui vont faire d’elle une complice silencieuse, qui n’aura d’autre choix que de mentir pour lui et de le couvrir. Mais cela ne suffira pas à la sauver, hélas.
Un petit homme insignifiant mais un tueur en série glaçant
Leur relation permet de commencer à dessiner le caractère de celui que Ethel prénomme affectueusement Reg. Un petit homme a priori insignifiant mais qui se révèle mythomane, lâche et fourbe. Il se prétend médecin alors qu’il n’est qu’hypocondriaque. Ce caractère va s’affiner grâce au deuxième épisode de Rillington Place, consacré à la relation que Tim entretient avec celui qu'il appelle respectueusement Monsieur Christie. Timothy Evans (Nico Mirallegro) vient d’emménager à l’étage au-dessus avec sa jeune femme, Beryl (Jodie Comer qu’on a adorée dans Killing Eve). Suivra bientôt leur bébé, une petite Géraldine.
Intrusif, Monsieur Christie devient un peu le mentor du couple et s’immisce de plus en plus dans leur intimité. Sa façon de semer la zizanie tout en apportant des solutions est machiavélique. Le nombre de fois où ils remercient cet homme qui va causer leur perte est hallucinant. Là encore, il va exercer son emprise sur le jeune homme, créant la confiance, devenant son confident, lui donnant des conseils. Bien sûr, il se joue de la crédulité de Tim, quand Ethel s’occupe de la jeune femme.
Les deux créateurs posent aussi très bien le contexte de l’époque, de la honte ressentie face à l’acte illégal d’un avortement dont souhaitait bénéficier Beryl. On est soufflé par la description de l’escalade des événements qui provoquent la mort de Béryl et du bébé, l’arrestation et la pendaison de Tim, les mensonges de Monsieur Christie et de sa femme à son procès. Car même si on se place du point de vue de Tim, qui espère encore que Monsieur Christie va le sauver et dire la vérité, on a désormais bien en tête le rôle joué par le tueur en série. Et cette surprenante dualité provoquée chez le spectateur est une vraie réussite.
Aussi, quand s’ouvre le dernier chapitre consacré au tueur lui-même, on jubile. Evidemment non parce qu’on le voit agir et tuer, mais parce qu’on sait que sa fin est proche. Confiant, il court de plus en plus de risques, ne prend plus la peine de cacher les corps correctement. Tel un prédateur, on le voit choisir ses proies. Aussitôt arrêté et jugé, il est pendu. Tim Roth dans le rôle-titre est loin des personnages qu’il incarne souvent, à l’instar de celui très agité de Lie to Me. Il est parfaitement parvenu à se glisser dans la peau de ce manipulateur détaché de ses émotions et capable de prendre en moins de deux la décision d’étrangler une femme.
Ce qui est toutefois regrettable, c’est que Rillington Place n’explique à aucun moment les motivations de tels actes. Et pourtant, la vie et les meurtres de John Christie sont connus et ont été décrits dans des livres et déjà fait l'objet du film L’étrangleur de la place Rillington. Et quand on sait que la famille de Timothy Evans, gracié à titre posthume, se bat encore de nos jours pour clamer son innocence, ça fait froid dans le dos. Rillington Place est donc une brillante reconstitution d’un fait divers abject, qu’on vous conseille absolument !
Rillington Place créée par Ed Whitmore et Tracey Malone, diffusée sur Canal+ le 12 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.