CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Self Made : d’après la vie de Madam C.J. Walker", mini-série Netflix, décrit l’ascension sociale d’une femme afro-américaine visionnaire du début du XIXème siècle, confrontée au racisme et au machisme.
Self Made : d’après la vie de Madam C.J. Walker raconte une histoire qui symbolise parfaitement le fameux american dream, et évoque esclavage, émancipation, racisme, entrepreneuriat et féminisme du début du XIXème siècle. La série de quatre épisodes se concentre sur les dix dernières années de la réussite sociale de Madame C.J.Walker, qui a réellement existé puisqu’elle a été la première Afro-Américaine à devenir millionnaire par ses propres moyens. La réalisatrice Kasi Lemmons poursuit ainsi la mise en lumière du courage et de la force de caractère des femmes afro-américaines, tout comme elle l’a fait dans Harriet - qui retraçait la vie de Harriet Tubman, qui avait aidé plus d'une centaine d'esclaves à fuir le Sud des Etats-Unis après s'être elle-même échappée en 1849.
Self Made : d’après la vie de Madam C.J. Walker, dont le ton ne se veut pas dramatique mais plutôt léger avec une touche de modernité et parfois de comédie musicale, prend évidemment quelques libertés avec la réalité. Elle justifie ainsi le « inspiré par », notamment à propos de la relation entre Sarah Breedlove, devenue Madame C.J. Walker (Octavia Spencer) et Addie Monroe (Carmen Ejogo). Dans la vraie vie, Addie s’appelait Annie Malone, fut aussi millionnaire et pas vraiment en compétition avec Sarah.
Addie a inventé un produit capillaire pour les femmes noires de ce début du XIXème siècle à Saint-Louis, et a sauvé Sarah de la pelade. Éternellement reconnaissante, celle-ci lui propose de vendre son produit tant elle y croit. Et Sarah est en effet une formidable conteuse de sa propre vie : première enfant née de parents esclaves après la proclamation d'émancipation par Abraham Lincoln qui abolit l'esclavage en janvier 1863, elle se marie à 14 ans, tombe enceinte à 15 et se retrouve veuve à 20. Quand on fait sa connaissance dans la série, elle est remariée avec Chares James Walker (Blair Underwood), et sa fille Lelia (Tiffany Haddish) vit sous son toit.
Une improbable success story
Le personnage de Addie, tel qu’il est présenté, est intéressant car c’est à travers son prisme et son regard que le spectateur voit Sarah évoluer, concrétiser son rêve, s'affranchir de ses déceptions et découvrir sa force de conviction et de résilience. Sarah est finalement tout ce que Addie n’est pas. Pour trouver sa place, elle se heurtera souvent à Addie, à sa beauté de métisse aux cheveux soyeux, à sa façon parfois brutale de la rabaisser systématiquement à son statut de blanchisseuse et de femme peu attrayante et trop noire. Et aussi à son refus de lui laisser vendre son produit, pour toutes ces raisons. Mais Sarah est visionnaire et crée elle aussi un soin capillaire, puis s’installe à Indianapolis pour monter son usine, jusqu’à posséder plusieurs salons de beauté dans tout le pays.
Sarah est obsédée par deux choses : laisser un héritage à sa fille et permettre, grâce à ses soins, d’élever et de rendre belles et respectables toutes les femmes noires. Ce souhait est d’ailleurs asséné à de très nombreuses reprises dans les dialogues, et c’est un peu dommage. Car si la série se veut un exemple didactique pour toutes les jeunes femmes, elle n’attribue à cette femme de pouvoir aucun défaut (sauf peut-être lors du dernier épisode, et encore). Elle présente Sarah, avec un certain manque d’impartialité, comme un peu trop parfaite. Peut-être est-ce parce que la série est basée sur le livre On her own ground, écrit par A’Lelia Bundles, l'arrière-arrière-petite fille de Madame CJ Walker ?
Même si Sarah peut compter sur son sage beau-père Cleophus (Garrett Morris), son conseiller Ransom (Kevin Carroll) et sa fille Lélia, que d’obstacles effectivement surmontés ! Non seulement elle doit faire face aux manipulations de Addie et aux comportements de tous les hommes machistes, blancs ou noirs, qu'elle croise, mais elle doit aussi se coltiner un mari orgueilleux, volage, vexé et jaloux que sa femme réussisse à ce point en utilisant son nom.
Et en ce sens, Self Made : d’après la vie de Madam C.J. Walker est susceptible d’intéresser tout étudiant en entrepreneuriat, tant elle détaille parfaitement tout ce à quoi est confronté un businessman. Ainsi la lecture indispensable de livres qui ont fait leurs preuves (Sarah lit un livre nommé The negro in business), ou les exemples pris sur ceux qui ont réussi (pour Sarah, c’est Rockefeller). Et puis, les investisseurs à convaincre, le marketing, la storytelling, la publicité, la concurrence déloyale, l’espionnage industriel, la participation à des congrès ou encore l’organisation de conventions pour mettre à l’honneur les meilleurs vendeurs.
La série Self Made : d’après la vie de Madam C.J. Walker se révèle donc plaisante à regarder, dressant le portrait d’une femme ambitieuse, courageuse, déterminée et désireuse de souffler un vent d’émancipation pour améliorer la condition de ses consœurs. Et elle donne finalement aussi envie de mieux connaître sa vie réelle, ainsi que la période et les événements évoqués dans la série.
Self Made : d'après la vie de Madam C.J. Walker créée par Kasi Lemmons, sur Netflix le 23 mars 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.