CRITIQUE / AVIS SÉRIE - Un pitch de départ intrigant, un M. Night Shyamalan de retour en grâce à la production et une promotion qui a joué sur le mystère. Voilà tant de raisons qui donnent envie de découvrir "Servant", création horrifico-fantastique pour la plateforme Apple TV+.
Bien qu'elle soit "uniquement" produite - et non créée - par M. Night Shyamalan, on fait rapidement le rapprochement avec l'oeuvre du bonhomme lorsqu'on s'immerge dans Servant. L'auteur de Sixième Sens a indubitablement apposé sa personnalité sur le programme créé et scénarisé par Tony Basgallop. Et bien que l'évoquer comme "la série de Shyamalan" n'est pas totalement vrai dans les faits, on voit se multiplier avec évidence les éléments en rapport avec sa filmographie.
Déjà, ne serait-ce que le cadre, Philadelphie, ville pour laquelle il déborde d'admiration et qui lui fourni de l'inspiration. Il y ensuite ce sens du twist, du mystère. Le téléspectateur se retrouve embarqué dans une histoire étrange qui tend à se conclure sur une révélation inattendue. On ne dira pas dans ces lignes si c'est le cas car, comme dans un film de Shyamalan, mieux vaut s'y confronter en en sachant le moins possible. Néanmoins, le peu que l'on peut vous dévoiler concernant le postulat de base est déjà bien suffisant pour éveiller l'intérêt.
Servant suit un couple de jeunes parents (Lauren Ambrose et Toby Kebbell) qui vient de faire face à un terrible drame : la perte de leur enfant, né depuis peu. Pour réussir à passer à autre chose, nos deux personnages ont introduit dans leur vie une poupée ultra-réaliste qui leur sert d'enfant de substitution. Visiblement, cette solution ne semble pas marcher sur la mère, qui vient d'engager une nounou (Nell Tiger Free) pour s'occuper d'un enfant qui n'a aucun besoin. Pour ne rien arranger à la situation, cette arrivante dans la maison, Leanne, a un comportement étrange qui questionne Sean, le mari. Plusieurs éléments, dont un énorme, vont logiquement lui faire se poser de sévères questions sur cette nounou et sur la santé mentale de sa femme.
Shyamalan préserve son style
On marche sur des œufs au moment de se lancer dans l'exercice critique. Le risque de gâcher les surprises et la construction qui en découle peut amoindrir l'impact de Servant. Le premier gros twist du pilote va d'ailleurs changer d'entrée bien des choses et nous lancer dans une direction pour le moins surprenante. Si on ne peut pas trop s'attarder sur les éléments qui vont faire monter la sauce, on peut en revanche prendre le temps de parler de cette mise en scène qui est l'instrument le plus important dans l'installation de l'ambiance.
Que Shyamalan s'occupe du premier épisode est logique, dans le sens où il pose les premières briques. Ses fans seront ravis de reconnaître son sens du cadre si aiguisé. La manière dont il filme les personnages, les événements, en voulant qu'on ressente par l'image que quelque chose ne tourne pas rond, fonctionne vraiment bien. Il y a presque un refus du plan normal, pour ne pas faire faiblir une tension vaporeuse. De la mise au point à l'utilisation de différentes focales, l'image en devient contaminée par une force maléfique. La nounou ne pénètre pas que dans cette maison, elle injecte par la même occasion, dans la mise en scène, son indicible poison.
Servant, une sitcom horrifique ?
Et si beaucoup passe par la mise en scène, on remarque quand même que Servant se repose sur une certaine économie de moyens. Le fantastique se révèle dans un cadre confiné, celui d'un appartement. Aussi spacieux soit-il (le couple a de l'argent), on n'en sort quasiment jamais, comme pour nous asphyxier. On pourrait presque parler de sitcom, en réalité. Le terme peut paraître surprenant, parce qu'on l'associe à l'humour. C'est justement pour ça qu'on peut en parler dans le cas de Servant, car il y a effectivement matière à s'amuser. Pas en éclatant de rire aux éclats mas avec la diffusion d'un humour noir, bien aidé par le personnage de Rupert Grint.
Pour donner un exemple, on pense au passage où Sean jette la poupée par terre, en l'absence de sa femme, pour ne pas avoir à faire semblant de s'en occuper, et qu'il est pris en flagrant délit par la nounou. L'humour agit toujours dans ce sens, avec une seconde couche plus perfide. Comme si la série se faisait un malin plaisir à nous regarder avec de gros yeux, l'air accusateur, après avoir provoqué elle-même le rire.
Du potentiel, mais...
Les trois premiers épisodes que nous avons pu voir affichent un beau potentiel en terme d'ambiance. Mais aussi le début de quelques limites ? Le fait que l'intrigue se déroule dans un seul lieu (avec quelques échappées à l'extérieur par l'utilisation d'écrans) et avance lentement nous amène à nous questionner sur la pertinence de sa longueur (10 épisodes). La série peut-elle tenir aussi longtemps ? La question est d'autant plus inévitable qu'Apple vient de renouveler le programme pour une seconde saison. Sans être allé au bout, on pensait par avance que la fin allait régler le problème par le biais d'un twist à la Shyamalan. Il faut donc s'attendre à boucler cette salve d'épisodes avec une trame pas entièrement résolue. Avant de voir aussi loin, restons-en sur ce que Servant est durant ses premiers pas. À savoir la proposition la plus forte d'Apple TV+ pour le moment, grâce au style Shyamalan qui se marrie parfaitement à un scénario diabolique.
Servant créée par Tony Basgallop, saison 1 sur Apple TV+ à partir du 28 novembre 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.