CRITIQUE / AVIS SÉRIE - Trois prostituées s'allient pour fuir leur mac dans "Sky Rojo", nouvelle création originale Netflix du créateur de "La casa de papel". Disponible le 19 mars 2021 sur Netflix.
Trois prostituées dans le vent
En 2018, Álex Pina s'offrait un deal de luxe à hauteur de 125 millions de dollars avec le géant Netflix. Le créateur espagnol a scotché tout le monde grâce à La casa de papel. Un titre qui demeure toujours important sur la plateforme. Après la sympathique mais peu marquante White Lines, Álex Pina revient avec Sky Rojo. Le scénario s'attarde sur Coral (Verónica Sánchez), Wendy (Mariana Espósito) et Gina (Yany Prado). Trois amies prostitués qui se rebellent contre leur proxénète, Romeo (Asier Etxeandia). À la suite d'une confrontation qui tourne mal, elles sont dans l'obligation de fuir. Poursuivies par Moisés (Miguel Ángel Silvestre) et Christian (Enric Auquer), les hommes de main de Romeo, elles vont devoir se serrer les coudes pour accéder à la liberté à laquelle elles aspirent.
Sky Rojo parle donc de femmes qui veulent s'émanciper, après avoir été considérées comme des objets au sein d'un business où elles étaient la marchandise. En un rien de temps, le décor est planté avec ce club au milieu de nulle part mené par un homme d'affaires peu scrupuleux. Lorsque les femmes tombent entre ses mains, il leur est presque impossible de s'en extirper à moins de rembourser d'énormes sommes dont elles sont redevables. La série instaure un point de vue féministe en se rangeant du côté des prostituées et elle met en exergue des problématiques attendues, sur les rapports de domination entre les hommes et femmes et plus généralement sur l'industrie du sexe.
Les hommes, ce sexe faible
Durant les quatre premiers épisodes que l'on a pu voir, ces femmes doivent traverser un monde où tous les hommes sont faibles. À leur manière. Certains préfèrent faire preuve de violence pour camoufler leur impuissance à gérer la situation. D'autres doivent se soumettre aux volontés des héroïnes pour continuer de cacher qu'ils achètent du sexe. En somme, Sky Rojo dessine un clan masculin assez pitoyable, en comparaison des trois têtes qui mènent le récit. On sent une inversion des valeurs entre le présumé sexe fort et le faible. L'expression américaine "bros before hoes" ("les potes avant les p*tes") s'inverse intégralement ici, les filles de joie devenant soudées en opposition aux hommes. Intention louable mais inaboutie à cause d'une écriture décevante des figures masculines.
Les plus réussies sont celles qu'on voit le moins (le vétérinaire, Fernando) et la série se loupe avec son duo de frères qu'elle tente d'humaniser avec des traumas, en dépit de leurs actes. Comme si l'on cherchait à nous dire qu'ils sont des êtres sensibles avec un bon côté. Alors qu'ils agressent le premier qui se dresse en travers de leur route ou qu'ils pourchassent des femmes afin de les conduire vers une mort annoncée. On trouve ainsi dans l'écriture une incapacité à concrétiser une envie de nuance qui aurait pu être intéressante.
Un trio qui détonne
C'est, fort heureusement, plus réussi quand on s'attarde sur le trio central. Coral, Wendy et Gina sont complémentaires, avec des backgrounds et caractères différents. Ces trois bombes détonnent, au sens presque strict du terme. Partout où elles passent, elles se font remarquer et leurs méthodes improvisées font souvent des dégâts. Sky Rojo dessine le portrait de trois femmes qui ont vu le côté obscur de la gente masculine. La série appuie d'ailleurs sur la violence (physique et sexuelle) pour nous faire ressentir ce à quoi elles sont exposées en permanence. Quelques scènes frappent par leur férocité et l'évocation des relations sexuelles nous impose une crudité qui fait tiquer. Sky Rojo n'édulcore pas les contours de ce monde caché où les hommes laissent libre court à leur imagination. Assez pour nous faire concevoir que Carol, Wendy et Gina ont emmagasiné une rage qui peut enfin exploser.
Comme La casa de papel, série imparfaite mais très entraînante, Sky Rojo a une imparable efficacité rythmique avec des événements qui s'enchaînent à une vitesse folle. On n'a jamais le temps de s'ennuyer grâce à des épisodes qui durent moins de trente minutes chacun. Un format absolument parfait évitant aux temps faibles d'exister. L'ensemble est construit de manière à nous embarquer dans une fuite en avant où le repos ne peut qu'être de courte durée. L'inventivité dans les situations relance sans cesse l'intérêt, avec une exagération consentie au nom du divertissement. Sky Rojo est inégale dans son écriture, parsemée de petits défauts par-ci par-là, mais son énergie dévorante prend le dessus. L'Espagne vient d'accoucher d'une nouvelle petite bombe qui risque de ne pas laisser insensible le public.
Sky Rojo créée par Álex Pina et Esther Martínez Lobato, disponible sur Netflix le 19 mars 2021. Bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.