CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Stateless" pose un état des lieux réaliste et glaçant du traitement des migrants en Australie. En suivant la trajectoire de plusieurs personnages pour composer un portrait complet de la situation, cette mini-série Netflix fait l'effet d'une bombe.
Une histoire inspirée de faits réels
En 2004, Cornelia Rau, une Allemande qui réside en Australie, est enfermée dans un camp de rétention sans que ce ne soit justifié. L'affaire fait grand bruit jusqu'à sa libération, et même après. C'est de son histoire que s'inspire la série Netflix Stateless. Mais pas uniquement. Le sujet englobe quelque chose de plus grand et analyse le comportement d'un pays qui s'est retrouvé plus d'une fois dans le viseur des défenseurs des Droits de l'homme. Sa politique drastique sur les migrants fait débat, ses opposants ne manquent pas de pointer du doigt le refus volontaire d'une aide envers ces gens dans le besoin, qui sont dans l'attente permanente pour savoir si leur demande d'asile sera acceptée. Afin de dépeindre la situation avec le plus d'exactitude, Stateless fait se croiser la trajectoire de plusieurs personnages pour cartographier l'écosystème qui rend cette situation insoutenable. La majeure partie de l'intrigue se déroule dans un camp de rétention mais la série n'hésite pas à s'écarter de ce lieu aride pour mieux préciser son propos.
Une charge politique et humaniste
Par-delà une puissance émotion sur laquelle on reviendra plus tard, Stateless met un point d'honneur à ne pas rester en surface par rapport à un sujet qui demande une vision panoramique pour ne pas tomber dans des raccourcis trompeurs. La série arrive assez bien à concilier le sort des victimes et à positionner son point de vue de l'autre côté de la barrière. On peut notamment suivre un gardien du centre qui vient d'être engagé (Jai Courtney), une chargée des demandes d'asile (Asher Keddie), des petites mains de la bureaucratie ou des gens sur le terrain. Stateless ne les montre pas comme des méchants mais comme des pions, placés au cœur d'une situation où ils n'ont jamais les outils pour essayer d'arranger la situation.
C'est là toute la pertinence de la série, qui arrive à décrire le gouvernement comme absent, avec des procédures sans efficacité et un abandon de ses soldats en première ligne. Rien que l'amas de dossiers à gérer sur le bureau de Clara lors de sa prise de fonction vaut tous les discours du monde. La perspicacité de l'écriture saute aux yeux et dresse un constat éloquent, qui fait froid dans le dos. L'action reste située en Australie, mais Stateless a une portée plus large, en parlant du sort des migrants partout dans le monde. Il y a notamment ces moments glaçants où Ameer (Fayssal Bazzi) parle de l'Afghanistan comme s'il avait fui l'enfer sur Terre. Le scénario exprime toute la cruauté de la situation, en suivant des gens qui se retrouvent enfermés alors qu'ils fuient une autre forme d'enfermement (politique, militaire, morale). Ce cercle vicieux est kafkaïen, terrible, quand on se rappelle qu'avant tout il y a des femmes, des enfants et des hommes au centre de tout ça.
De l'émotion pour souligner le message
Tout ceci étant dit, il faut reconnaître que Stateless sait aussi bien manier sa réflexion que sa part émotionnelle. Plusieurs séquences peuvent vous clouer le bec par la détresse qui s'en dégage, sans tomber dans un misérabilisme putassier. Pour donner corps à ces trajectoires abîmées sans écorcher leur dignité, la série mise sur son solide casting. Yvonne Strahovski fait office de point central en étant une européenne retenue à tort dans ce centre où se mêle les nationalités. L'actrice apporte la sensibilité qu'il fallait, dans son regard, en ayant un personnage qui se construit sur d'autres enjeux. Née dans une famille allemande, elle devient hôtesse de l'air pour fuir un quotidien qui aurait pu devenir castrateur (ses parents veulent la caser, qu'elle fasse un enfant, qu'elle ait un métier posé) si elle n'avait pas cherché un chemin dérobé pour s'échapper. Jai Courtney, habitué aux choix de carrière douteux (Terminator Genisys, Suicide Squad, Die Hard 5 : Belle journée pour mourir, I, Frankenstein...) trouve l'un de ses meilleurs rôles avec lui aussi pas mal de sensibilité dans son rapport à l'étranger. Mais s'il fallait n'en retenir qu'un, ce serait l'incroyable Fayssal Bazzi, bouleversant de bout en bout.
Stateless se refuse au casting de stars internationales et assemble des talents australiens qui veulent mettre en lumière les errements de leur propre patrie. On notera aussi l'implication de Cate Blanchett qui, sans tirer la couverture vers elle, prolonge de fort belle manière le combat qu'elle mène avec L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Cette série qui montre, démontre et accuse, éclaire avec force.
Stateless créée par Cate Blanchett, Tony Ayres et Elise McCredie, sur Netflix le 10 juillet 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.