CRITIQUE SÉRIE - Adaptation en mini-série du célèbre roman d’Agatha Christie, "Témoin indésirable", Britannique jusqu’au bout de l’intrigue qui repose sur le meurtre de Rachel Argyle, tient ses promesses, non sans dévoiler quelques imperfections.
Témoin indésirable est le premier volet d’une collection plus large d’adaptations à venir. Canal+ a en effet acquis en tout sept mini-séries au printemps derniers, toutes tirées des romans de la reine du crime et produites par Mammoth Screen et Agatha Christie pour BBC One. Cette adaptation en quatre volets du célèbre roman éponyme d’Agatha Christie repose ici sur le meurtre de Rachel Argyle, matriarche d’une riche famille aristocrate. Son fils adoptif, Jack, connu pour ses irrévérences, est directement accusé et envoyé en prison, où il perd la vie à son tour. La famille Argyle, doublement endeuillée, peine à s’en remettre. Surgit alors un homme assurant avoir été en compagnie de Jack au moment du meurtre de sa mère. Le fameux témoin indésirable remet alors toutes les suspicions autour de la culpabilité de Jack en question. Témoin indésirable
Un meurtre en quatre actes
À bien des égards, adapter un roman de la reine du crime est audacieux, tant celle-ci excelle dans l’art et la maîtrise du suspense. C’est l’objet même de l’œuvre, ce qui constitue son fond et influe sur sa forme. Lorsqu’on s’attaque à l’œuvre d’Agatha Christie, on ne se contente pas de raconter une affaire, on s’approprie également tout son univers et l’héritage culturel qu’elle représente. Le défi n’a pas effrayé la créatrice britannique Sarah Phelps, qui s’en sort honorablement aux côtés de la réalisatrice, Sandra Goldbacher. Et pour cause, ce n’est pas la première fois qu'elle s’essaye à la mise en images d’une œuvre de la reine du polar. On lui doit en effet une adaptation de Dix petits nègres, réalisée en 2015 et également sous forme de mini-série. On lui doit de plus The Witness for the Prosecution, une autre adaptation d’Agatha Christie tirée du roman du même nom (connu en France sous le nom de Témoin à charge).
Vous l’aurez donc compris, Sarah Phelps connaissait plutôt bien le dossier et représentait la candidate idéale pour se mettre aux commandes de Témoin indésirable, l’un des romans préférés d’Agatha Christie elle-même. La créatrice met un point d’honneur à étirer le suspense le long des quatre épisodes de 57 minutes. Peut-être un peu trop, d’ailleurs. Beaucoup trop, en fait. Il faut un certain temps pour que l’intrigue soit mise en place et qu’on arrive enfin à ce qui est pourtant le postulat de départ, à savoir : Jack innocenté, chaque membre de la famille devient suspect et possède son propre mobile. La lenteur de la mise en place des éléments distille le suspense à dose homéopathique, jusqu’à l’ultime épisode, magistral, où tout explose. On aurait alors préféré un peu plus d’équilibre dans cette gestion du suspense.
La mini-série repose alors sur deux temps, le présent où le témoin indésirable tente de faire entendre son témoignage, et le passé où l’on découvre peu à peu le déroulement de la soirée. On regrette que ce fameux témoin indésirable ne le soit pas tant. Certes, il peine à faire porter sa voix, mais l’intrigue ne lui laisse pas énormément de place. C’est lui le déclencheur des événements, et pourtant l’impression qui en ressort est qu’il n’est pas d’une importance capitale. La série se focalise davantage sur les membres de la famille, qui s’articulent autour de la figure matriarcale de Rachel Argyle. Personnage respecté, imposant, et remarquablement incarné par Anna Chancellor (dont la posture impressionne), il est vite révélé détestable. Dans ce tableau impressionniste, le fameux témoin, lui, se distingue par son côté gauche, mal à l’aise.
Tout bien british comme il faut (un peu trop)
Vous voulez du Agatha Christie, vous en aurez. Tout y est. On peut cocher toutes les cases du bingo de la série anglaise. Le décorum britannique à souhait, la grande maison victorienne, l’immersion dans la famille aristocratique où seules comptent les apparences. Et bien sûr, l’accent britannique. Par contre, la case qu’on se serait bien passé de cocher, c’est celle de la réalisation poussive. Quoi, réalisation poussive, les Anglais ? Mais si, admettez que, parfois, ils ont un peu le goût du kitsch nos amis de l’autre côté de la Manche. Dans Doctor Who, par exemple. La réalisation brute de décoffrage y reste acceptable puisque volontaire, mais transposé à l’œuvre d’Agatha Chrisite, ça fonctionne moins bien. La réalisatrice Sandra Goldbacher a tenu à prolonger cette expérience de l’aristocratie anglaise dans ses procédés de réalisations, un peu excessifs. À chaque flash-back, on a le droit à une même succession de plans rappelant le meurtre. Gros plan sur les aiguilles d’une horloge, plan suggestif du corps, du sang qui coule. À CHAQUE flash back, et il y en a beaucoup. Ce format de retours excessifs peine à convaincre et manque de subtilité.
Enfin, qui dit série britannique, dit aussi forcément jouer à « qui a joué dans quoi ». A ma droite, on a Harry Potter et Love Actually pour Bill Nighy. A ma gauche, on a Downton Abbey avec Mathew Goode, et on n’oublie certainement pas Black Mirror avec Alice Eve. C’en est presque surprenant de ne pas y croiser Emma Thompson de manière fortuite ou Imelda Staunton l'air de rien. En tout cas, on est certains qu’on n’y trouvera pas Ed Westwick - il a été évincé du projet par la BBC suite aux accusations de viol à son encontre. Une fois qu’on a trouvé tout le monde, on peut commencer à se mettre dans la peau d’un détective pour essayer de trouver le coupable. Et Agatha ne nous rend pas la tâche aisée : tout le monde est potentiellement le meurtrier. Bien que quelques indices soient déposés ici et là, parfois de manière assez grossière, l’enquête reste malheureusement assez difficile à mener tant les informations sont distillées.
Témoin indésirable créée par Sarah Phelps, diffusée sur Canal + à partir du 29 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.