CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Tokyo Vice" marque le retour de Michael Mann au format sériel. En tant que réalisateur du premier épisode et producteur de la saison 1, il propose une plongée passionnante et sombre dans le Tokyo des années 1990 où un journaliste croise yakuzas, policiers et hôtesses de clubs.
Michael Mann revient avec une série
Michael Mann, c'est évidemment Heat (1995), Révélations (1999), Collatéral (2004), Miami Vice (2006), mais également Le Solitaire (1981), Le Sixième Sens (1986) ou encore Ali (2001). En somme, on pourrait citer quasiment n'importe lequel de ses onze longs-métrages et tomber sur un film important du cinéma. Cependant, on n'oublie pas que le cinéaste a également œuvré à la télévision, un médium vers lequel il aura passé son temps à revenir.
C'est avec le petit écran que Michael Mann a pu travailler son style et ses obsessions. À l'image de la série Deux flics à Miami (1984-1990) qui, même s'il ne réalise pas les épisodes (il officie comme producteur et scénariste), lui permet déjà d'apposer sa marque. Plus tard, il réalisera un épisode de la série Les Incorruptibles de Chicago (1987), le téléfilm L.A Takedown (1989, qui donnera Heat) et plus récemment Luck (2011). Pour ces deux shows, Michael Mann dirige un épisode (le pilote pour Luck) mais garde un certain contrôle en tant que producteur. Il applique aujourd'hui le même procédé avec Tokyo Vice, créée par J. T. Rogers pour HBO Max (diffusé en France sur Canal+).
Basée sur Tokyo Vice: An American Reporter on the Police Beat in Japan (2009), l'autobiographie du journaliste d'investigation Jake Adelstein, l'histoire propose une plongée dans le Japon des années 1990 et le monde criminel des yakuzas. Jake (Ansel Elgort) est un tout jeune journaliste américain installé au Japon. Son but, rejoindre un journal réputé et exigeant qui n'engage généralement pas d'étranger. Mais à force de travail, il y parvient.
Tokyo Vice, dans le pur style de Mann
Cependant, il ne suffit pas de réussir un entretien pour devenir un journaliste. Il lui faudra du temps pour être accepté par ses supérieurs et comprendre le fonctionnement du journal. Apprendre à respecter la hiérarchie, mais également la police, sans chercher à trop creuser. Son ambition va malgré tout le pousser à s'intéresser aux yakuzas, et notamment à Akiro (Show Kasamatsu) qu'il rencontre dans un bar à hôtesse où travaille Samantha (Rachel Keller), une expatriée américaine qui attire également son attention.
Michael Mann a donc à l'évidence posé son style avec le premier épisode de Tokyo Vice. Une "simple" scène dans une boîte de nuit, où Jake va pour se vider la tête, renvoi à la géniale introduction de Miami Vice ou encore aux quelques plans qui précèdent la fusillade du club dans Collateral. Même sensation enivrante ici, où l'image et la musique suffisent à nous immerger. Puis, au fil des épisodes, on retrouve l'énergie et la puissance de la mise en scène de Mann (une attaque au couteau) jusque dans les moments "anodins" (cette manière de suivre une moto sur la route). Michael Mann trouve le bon rythme, et gère au mieux ses moments de calme par des dialogues judicieusement écrits.
Seulement, si le cinéaste a constamment filmé des professionnels de leur domaine, tout l'intérêt de Tokyo Vice est de découvrir en saison 1 des protagonistes loin d'être dans la maîtrise de leur environnement. Il n'y a qu'à voir Jake, son air de petit malin qui à la fin d'un concours se rend compte au dernier moment qu'il a oublié de remplir une page entière de sa copie. Si lui se croit presque intouchable, plus intelligent que les autres, la réalité viendra constamment le faire redescendre sur terre.
Des personnages complexes et imparfaits
Lui, mais également Samantha, qui rêve d'ouvrir son propre club, Akiro, dont la fragilité est parfaitement retranscrite par son interprète Show Kasamatsu, ou encore l'inspecteur Hiroto (Ken Watanabe) dans les derniers instants de la saison 1. Tous sont des personnages qui, en dépit de leur désir de changement, d'échapper à leur monde pour certains ou de s'imposer comme maître de leur destin pour d'autres, ne feront qu'échouer inlassablement. Le mythe mannien par excellence.
Si le premier épisode de Tokyo Vice pose donc les bases du show, la suite poursuit dans ce sens avec une plongée aussi précise et réaliste du milieu (les nombreux dialogues en japonais) que divertissante. On observe ainsi une société patriarcale (la journaliste interprétée par Rinko Kikuchi) renfermée sur elle-même (l'étranger est difficilement accepté), la corruption de la police, le monde sombre des yakuzas et des bars à hôtesses, les arnaques et les trafics à la nuit tombée. Ce sont aussi bien les yakuzas qui sont passées au crible que le Tokyo de l'époque qui résonne avec aujourd'hui. Et par la variété de ses personnages tous plus complexes les uns que les autres et éminemment faillibles, la série passionne le temps de ses huit épisodes, en attendant une saison 2 déjà commandée par HBO Max.
Tokyo Vice créée par J. T. Rogers, sur Canal+ à partir du 15 septembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.