CRITIQUE / AVIS SÉRIE – Dans " Tout pour Agnès ", série de Paramount+, Vincent Garencq revient brillamment sur l’immixtion du sulfureux avocat Maurice Agnelet dans la famille de Renée et Agnès Le Roux, et replonge dans quarante ans d’enjeux de pouvoir et financiers sur la Côte d’Azur, de relations familiales, de séduction, de manipulation et de mensonges.
Tout pour Agnès : un fait divers à l'origine
Fidèle à son souci de reconstitution des grandes affaires judiciaires françaises (Au nom de ma fille, Le mensonge), le réalisateur Vincent Garenq s’empare avec habileté de l’affaire Agnès le Roux–Maurice Agnelet dans Tout pour Agnès. Avec ses coscénaristes Nicolas Jean, Isabelle Dubernet, Olivier Eloy, ils ont adapté le livre du journaliste Roger-Louis Bianchini Agnès Leroux : enquête sur la disparition d'une jeune femme riche.
Il en ressort quatre épisodes bien documentés qui relatent avec moult détails et judicieux flashbacks la rencontre de l’avocat Maurice Agnelet (Yannick Choirat) avec Renée Le Roux (Michèle Laroque). Les auteurs racontent l’influence désastreuse qu’il a eue sur sa fille Agnès Le Roux (Marie Zabukovec), disparue du jour au lendemain. La culpabilité d’Agnelet dans ce meurtre sans corps a mis près de quarante ans à être prouvée.
La fiction de ce fait divers niçois qui mêle argent, politique, famille et mafia, est passionnante. Ceux qui ne connaissent pas ce vertigineux feuilleton judiciaire aux multiples rebondissements seront tenus en haleine jusqu’au bout. Ceux qui ont récemment vu sur Arte la remarquable série documentaire Tant qu’ils ne retrouvent pas le corps de Rémi Lainé et Pascale Robert-Diard seront intéressés par la possibilité qu’offre la fiction d’entrer aussi subtilement dans la tête de tous les personnages.
Tout comme Catherine Deneuve, qui l’avait interprétée dans L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné, Michèle Laroque est parfaite en « Reine Mère ». Et on sait gré au réalisateur de lui avoir confié ce rôle puissant, loin de son talent comique habituel. À l’instar de celui qu’elle tenait dans Diabolique de Gabriel Aghion, déjà pour la télévision.
D’une trahison à l’autre
Il est beaucoup question de pouvoir et de confiance dans Tout pour Agnès et du combat d’une femme, à la tête du Palais de la Méditerranée depuis le décès de son mari. Renée est une femme forte et hautaine qui tient d’une main de fer les rênes du casino et de sa famille. Si elle réussit à faire face aux intrigues et aux intimidations des hommes de ce milieu, elle est aussi une mère absente auprès de ses trois enfants - Jean-Charles (Marc Arnaud), Catherine (Marion Creusvaux) et Agnès.
La série montre très bien comment la petite dernière s’est construite à l’opposé de sa mère. Plus moderne, à l’image de ce vent de libération qui anime les femmes des années 1970, Agnès est fantasque, volubile et naïve. Sa mère l’aime et lui pardonne volontiers ses caprices, sauf en ce qui concerne le casino. Car pour en garder le contrôle, Renée veille à ce que les parts de chacun restent bien au sein de la famille unie.
Un homme sans scrupules
La force de Tout pour Agnès tient aussi dans le choix narratif (tout au moins avant la disparition) de ne pas rendre particulièrement sympathiques les deux femmes. Victimes d’Agnelet qui a créé le chaos en s'immisçant au sein de la famille, elles ont en commun d’avoir été séduites par l’avocat. Une séduction professionnelle envers Renée, qui lui ouvre les portes du Palais. Jusqu'à comprendre qu'il a atteint son seuil d’incompétence et qu'elle ne peut plus lui faire confiance. L’humiliation d’Agnelet de ne pas parvenir à faire partie de ce milieu n’en sera que plus grande.
La vengeance de l’homme froid et calculateur, flambeur et prétentieux, sera dès lors programmée. Car la séduction envers Agnès est faite d'amour et de manipulation. Grâce à la confiance qu’elle lui accorde, il la persuade de vendre ses parts à leur concurrent, Jean-Dominique Fratoni (Christophe Favre). Et il fait croire à Agnès qu’il lui donne le pouvoir de se libérer de sa mère infantilisante.
Une série haletante
Tout pour Agnès réussit alors à créer une grande empathie envers ces deux femmes. Car la terrible solitude qu’elles ressentent, sans ne jamais pouvoir la partager, est très émouvante. Celle d’Agnès, abandonnée par son amant après avoir rompu avec sa famille. Et celle de Renée, à la recherche désespérée de sa fille. Malgré la description quelque peu nébuleuse des montages financiers, le spectateur est happé par les enquêtes des deux policiers (Yannig Samot et Stéphane Pezerat) et du détective (Eric Naggar).
D’Agnelet on saura presque tout : le rôle de sa femme, de sa maitresse et de son fils aîné. Ainsi que sa manie d’enregistrer toutes les conversations téléphoniques, ses audaces, ses procédures et par-dessus tout, ses mensonges sans vergogne. Sauf le lieu où il a caché le corps. Tout pour Agnès se révèle donc une série haletante qui raconte autant une époque en mutation que les défaillances de la police et de la justice, et les difficultés d’une relation mère-fille dans un milieu d'hommes.
Tout pour Agnès créée par Nicolas Jean, Isabelle Dubernet et Olivier Eloy, sur Paramount+ à partir du 1er décembre 2023. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.