A l’occasion de la sortie cette semaine de "Pentagon Papers" de Steven Spielberg, nous vous proposons un focus sur une caste à part de nos sociétés modernes, qui s’exprime quotidiennement sur la marche du monde, modèle les opinions et tient (a priori) tête au pouvoir. C’est le fameux « quatrième pouvoir », celui des journalistes.
Relais entre le peuple et les élites, qu’elles soient politiques, sportives ou encore artistiques, les journalistes ont notamment pour mission de faire passer l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers. Le cinéma américain, toujours prompt à disserter sur l’Histoire, passée ou en cours d’écriture, a régulièrement porté un regard idéalisé ou acéré sur cette profession assez unique, qui a su se faire remarquer durant l’histoire américaine, notamment.
Une Figure du Bien
Pouvant modeler les opinions de ceux à qui ils s’adressent, les journalistes sont régulièrement présentés comme des figures du Bien, armés de courage et d’un sens moral aigu pour résister aux pressions et aux corruptions les plus diverses, dans le but de connaître et de relayer la Vérité. Parangon de cette haute idée du métier de journaliste, Les Hommes du Président incarne à bien des égards la profession dans son penchant le plus lumineux. Ce film de 1976 réalisé par Alan J. Pakula adapte l’histoire vraie des deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward (Robert Redford) et Carl Bernstein (Dustin Hoffman), qui sont à l’origine du scandale du Watergate, qui a amené la démission du président américain Richard Nixon, en 1974.
Film-enquête réalisé durant une décennie qui a brillé par sa veine contestataire, le chef-d’œuvre d’Alan J. Pakula nous plonge tête la première dans une salle de rédaction et dans le quotidien paranoïaque des deux journalistes (voir notamment la scène du parking souterrain avec « Gorge Profonde »). Résistants aux pressions et aux obstacles les plus divers, vent debout pour trouver la Vérité, Woodward et Bernstein ont in fine fait en sorte qu’elle éclate au grand jour et soit relayée vers l’opinion publique américaine.
Ce film-modèle a fait bien des émules, que ce soit Good Night, and Good Luck. (2005) de George Clooney, qui porte sa morale de gauche en étendard, Révélations (1999) de Michael Mann, sur un scandale vraie de l’industrie du tabac, ou encore Zodiac (2007) de David Fincher, sur un tueur en série qui obsède ceux qui le pourchassent. Mais également l’Oscar du meilleur film de 2016, le dénommé Spotlight.
Le long-métrage de Tom McCarthy, à l’évidence moins brillant que celui d’Alan J. Pakula, narre lui aussi une histoire vraie, en l’occurrence celle de l’équipe d’investigation du Boston Globe qui a révélé, en 2002, une affaire impliquant des prêtres pédophiles couverts par l’Eglise catholique, dans la région de Boston. Le groupe des journalistes, incarnés par Mark Ruffalo, Michael Keaton et Rachel McAdams, a enquêté durant des mois, fait fi des pressions venues de toutes parts (de la direction du journal, de l’Eglise catholique de manière indirecte) et a révélé un scandale sur une organisation vue comme intouchable. Véritables repères moraux face à une institution qui se soustrait à son devoir d’exemplarité (l’Eglise, ici ; le gouvernement dans Les Hommes du Président), les journalistes défendent le Bien, soit le peuple et ses intérêts. Mais le monde étant généralement plus complexe que cela, le système, plus retors, il est parfois difficile, voire impossible, d’arpenter le bon chemin.
Le Journalisme (dés)intégré dans le Système
Sorti la même année que Les Hommes du Président, Network : Main basse sur la télévision de Sidney Lumet prend une voie à l’opposé du chef-d’œuvre d’Alan J. Pakula. Le film anticipe avec une acuité géniale, mais en l’occurrence inquiétante pour nos démocraties, la transformation de l’information en pur spectacle. Vidée d’intérêt dans le monde opaque des réseaux (financiers) dépeints dans Network, l’information, en tant que savoir, n’existe plus. L’un des personnages principaux du film, Max Schumacher, journaliste de la vieille école incarné par Peter Finch, est viré du la présentation du journal de 20h faute d’audience, mais se transforme alors, en direct, en prédicateur fou lançant des slogans anti-systèmes, ce qui le rend extrêmement populaire. La nouvelle directrice des programmes de la chaîne, la froide et jeune Diana Christensen (Faye Dunaway), flairant le coup d’audience, lui confie une émission en dépit de l’aspect provoquant de son discours pour le conglomérat qui vient d’acquérir la chaîne.
Or, l’argent étant devenu le maître, ce que l’on dit ou montre n’a que peu d’importance devant les recettes, et la présence à l’antenne de Max Schumacher, qui est fructueuse financièrement, n’est due qu’à cela. Quand un des dirigeants de la CCA, qui contrôle la chaîne où il officie, lui intime de mettre au placard ses envolées anti-systèmes inutiles dans le monde actuel, et l’enjoint à embrasser le Capital et ses intérêts, Max Schumacher, très impressionné par le discours, s’exécute, mais les audiences chutent et son importance pour la chaîne également. Retombant toujours sur ses pattes, le Système, jamais à cours d’idées, aura tôt fait d’éliminer en direct Max Schumacher, en ayant au préalable manipulé pour cela un groupe de terroristes… Communistes. Car, idée nihiliste en diable, le Système intègre en son sein sa propre contestation, qui n’en est au final plus une. A quoi sert-il donc de s’y opposer ?
Vingt ans plus tôt, en 1957, Le Grand Chantage d’Alexander Mackendrick ramenait cette problématique à une histoire d’individus, tout en indiquant déjà que le journalisme, et les médias plus généralement, était avant tout une affaire de pouvoir. J. J. Hunsecker (Burt Lancaster), éditorialiste puissant de New York, pris dans une relation quasi-incestueuse avec sa sœur, décide d’utiliser son influence pour entraver son devenir amoureux avec un jazzman qu’il n’apprécie pas. Il utilise pour cela Sidney Falco (Tony Curtis), un attaché de presse cupide qui accepte de se salir pour satisfaire les desiderata d’un homme plus puissant que lui. Portrait au vitriol de la presse à scandale et du show-business, ce film portait déjà en germe la relation étroite que pouvait entretenir information et spectacle, soit la définition de la « presse people », dans laquelle les deux personnages principaux naviguent. Les journalistes, idéalement défenseurs du Bien, peuvent à l’évidence voir leurs idéaux contrariés par un environnement retors qui les intègre à un système corrupteur. Parfois de leur plein gré.
Le Mythe face à la Vérité
Enfin, on trouve parfois des cas où le mensonge est préférable à la vérité, ce qui est tout le propos subtil du chef-d’œuvre L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), l’avant-dernier film de John Ford. Alors que des journalistes locaux s’étonnent de voir débarquer dans une petite ville américaine un sénateur et sa femme aux obsèques d’un cow-boy inconnu, celui-ci leur raconte ce qui le lie au défunt. Des années plus tôt, le sénateur Stoddard (James Stewart), alors juriste, avait débarqué dans cette ville de l’Ouest dans l’espoir d’y imposer la Loi. Opposé à un criminel, Liberty Valance (Lee Marvin), Stoddard avait dû se résoudre en dernier recours à l’affronter dans un duel armé où le criminel avait trouvé la mort.
Cependant, et contrairement à ce qu’il en a été dit par la suite, c’est le cow-boy inconnu, Tom Doniphon (John Wayne), qui avait tué le malfrat, et non pas le juriste ambitieux, qui en avait cependant récolté toute la gloire. Car, pour le bien de la construction d'une jeune Amérique moderne et démocratique, il était préférable que ce soit le juriste ambitieux, incarnation symbolique de la Loi, qui mette fin à l’histoire criminelle de Liberty Valance, et non pas le bon vieux cow-boy armé de son colt, qui de son côté incarne la Violence, soit l’Ouest sauvage. Clôturant le long-métrage, la fameuse maxime « On est dans l’Ouest ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ! » dit tout du propos du film, et nuance le besoin absolu de vérité auquel les journalistes doivent souscrire. Quand la légende est effectivement préférable à la vérité, dans l’intérêt du peuple, il faut parfois s’y résoudre.