"Song to Song", le neuvième film de Terrence Malick, est au cinéma depuis le 12 juillet. C'est donc l'occasion idéale pour revenir sur l'une des filmographies les plus riches, les plus belles et les plus cohérentes que l'on ait pu voir dans le cinéma américain.
Song to Song, la dernière perle de Terrence Malick, vient tout juste de sortir en salles. Alors que ses personnages paraissent de plus en plus apaisés, le cheminement spirituel du cinéaste continue de s’enrichir. Le dernier film de Malick est une nouvelle invitation au voyage et à la remise en question personnelle.
Après Voyage of Time, Song to Song nous rappelle que le cinéaste est l’un de ceux qui prônent le mieux l’amour. Cependant, Terrence Malick l'a toujours fait sans naïveté et avec une multitude de nuances. En neuf films, le réalisateur est parvenu à un aboutissement cinématographique fascinant. Se plonger dans ses errances envoûtantes représente un plaisir indispensable et nécessaire, tant les propositions du cinéaste détonnent avec le reste des productions actuelles.
Un style unique et parfaitement identifiable
Pour résumer la mise en scène de Terrence Malick, on pourrait se contenter de dire que le cinéaste est le maître des plans aériens. Le réalisateur manie également à merveille la variation de la temporalité et les voix off qui questionnent l’existence.
Des crépuscules et des voix dans une sublime peinture de l’Amérique
En 1973, Malick tourne La Balade Sauvage. On y découvre les paysages du Dakota du Sud et sa capacité à filmer les étendues et le silence. Ce premier long métrage est éblouissant de maîtrise. La confirmation vient ensuite avec le magnifique Les Moissons du ciel. La voix de Holly dans le premier film se contentait de narrer sa romance meurtrière avec le jeune Kit Carruthers, le jeune homme qui voulait être James Dean. Dans Les Moissons du ciel, la voix enfantine mais pleine de recul de Linda commence à faire part de ses doutes et ses pensées.
Difficile de se remettre du dernier plan du second film de Terrence Malick. Tout au long du film, le cinéaste et le directeur de la photographie Néstor Almendros nous ont inondés de crépuscules éblouissants. Au milieu des champs, les hommes travaillent la terre et des amants se déchirent. Dans la dernière partie, Terrence Malick filme avec fureur une pluie de criquets fatale pour les personnages. Tout comme dans La Balade Sauvage, le réalisateur prouve qu’il est aussi à l’aise pour mettre en scène le chaos que pour redonner au vide toute la beauté et la sérénité qu’il mérite au cinéma.
En deux films, le réalisateur s’inscrit dans la lignée de peintres comme Andrew Wyeth ou Thomas Cole. Malick est en effet capable de retranscrire la grandeur du territoire américain tout en s’écartant du mythe pionnier. Avec La Balade Sauvage et Les Moissons du ciel, le cinéaste présente des hommes en lutte sur une terre pour laquelle il porte une affection particulièrement touchante.
L’importance de la steadicam
A partir de La Ligne Rouge et jusqu’à Song to Song, Terrence Malick se rapproche davantage de ses personnages. Le temps d’un film, le cinéaste quitte l’Amérique et nous emmène sur l’île de Guadalcanal. S’il dévoile des scènes de guerre d’une violence inouïe, le réalisateur pénètre également à l’intérieur de forêts et se met à regarder le ciel. Grâce à la steadicam, Malick peut filmer l’une de ses passions de plus près, les oiseaux.
L’attente a été longue mais valait bien 20 ans. Les voix-off s’interrogent sur l’amour et leur place dans le monde alors qu’ils traversent l’enfer. Les points de vue se multiplient, le propos du réalisateur qui semble prôner le ‘laisser-être’ évolue. Cela se ressent à travers l’esthétisme du film. Cette évolution se confirme avec Le Nouveau Monde. Malick revient en Amérique, cette fois-ci pour nous conter l’histoire de Pocahontas. L’utilisation de la musique classique associée à la maîtrise de la steadicam donne lieu à des passages bouleversants. L’amour que Pocahontas éprouve pour John Smith est palpable. Terrence Malick semble moins hésitant lorsqu’il en parle et sa facilité pour le revendiquer est d’autant plus bouleversante.
L’infiniment petit et l’infiniment grand
Avec The Tree of Life, A la Merveille et Knight of Cups, Terrence Malick révèle le parcours de plusieurs personnages en proie au doute quant à leur capacité d’aimer. La narration est de moins en moins linéaire et la caméra est toujours aussi virevoltante. Dans le premier, la vie d’une famille des années 50 et la genèse de l’humanité se répondent. La dualité des personnages n’a jamais été aussi présente chez le réalisateur.
Malick est une nouvelle fois au plus près d’eux et explore les limbes de leurs pensées. Le style paraît de plus en plus décousu mais le message est de plus en plus lumineux. Entre la voie de la nature et la voie de la grâce, le choix semble désormais être évident pour le cinéaste. Terrence Malick dépeint à merveille les tourments de ses personnages mais leur offre également de magnifiques échappatoires. Chez le cinéaste, le retour à la nature est souvent salvateur. Sans entrer dans des considérations écologiques, il permet surtout aux personnages de se découvrir véritablement.
Cette année, Terrence Malick a continué d’explorer l’infiniment petit et l’infiniment grand dans le somptueux Voyage of Time. Avec Song to Song, il a profité de la scène musicale du festival SXSW pour nous conter une très belle histoire d’amour. Si ces films sont intemporels, les techniques de Malick sont résolument modernes. Capable de modifier son scénario jusqu’à la table de montage où une multitude de prise de vues est décortiquée, Terrence Malick s’est imposé comme l’un des cinéastes les plus libres de son époque. La filiation entre ses films est évidente et tourne autour de l’amour, thème inépuisable qui n’a jamais résonné de façon naïve chez le réalisateur.
Une quête spirituelle en perpétuelle évolution
Comme l’affirme Philippe Fraisse dans son ouvrage Un jardin parmi les flammes – Le cinéma de Terrence Malick, le réalisateur est en « quête de pureté » à travers sa filmographie. La plupart des personnages ont l’envie d’être meilleurs chez Malick. Ils courent après un idéal. Certains se trompent mais beaucoup réussissent, et ce malgré le chaos ambiant.
Les hommes côtoient les anges chez Terrence Malick
L’homme appartient au monde, le monde n’appartient pas à l’homme. Les personnages des films de Malick qui font ce constat sont ceux qui se rapprochent le plus du sacré. C’est le cas du soldat Witt interprété par Jim Caviezel dans La Ligne Rouge. Figure angélique rassurante qui rappelle la jeune Linda des Moissons du ciel, le soldat Witt est en paix avec lui-même car il semble avoir découvert l’essence de son existence.
Dans toute la filmographie du cinéaste, les hommes côtoient les anges. On se souvient de Jessica Chastain planant littéralement dans son jardin dans The Tree of Life. La voie de la grâce est celle du don, de la capacité à aimer sans attendre en retour. Elle permet d’accéder à la notion d’éternité. Le semblant de réponse que Malick donne aux interrogations de ses personnages semble plus optimiste aujourd’hui qu’à ses débuts.
Christian Bale errait dans Los Angeles dans la majorité de Knight of Cups. Le film se concluait néanmoins sur un éblouissant aller vers l’avant. Le chevalier de coupes trouvait enfin un sens à sa quête. C’est de nouveau le cas dans Song to Song. Rooney Mara et Ryan Gosling entrevoient peu à peu la beauté du don fait de manière totalement désintéressée. Face à ces figures solaires se dressent toutefois des hommes en lutte avec leur besoin de possession.
Le fléau de l’ascension sociale
Dans La Balade Sauvage, Martin Sheen commet des meurtres mais semble ravi de sa notoriété grandissante. Richard Gere n’hésite pas à bafouer sa relation avec Brooke Adams pour voler le riche fermier interprété par Sam Shepard dans Les Moissons du ciel. Sean Penn affirme dans La Ligne Rouge que les horreurs de la guerre sont causées par le besoin de propriété.
Si les figures solaires finissent par l’emporter dans le cinéma de Malick, c’est en grande partie grâce à leur envie de progresser. Il ne faut en aucun cas y voir une preuve de romantisme niais de la part du cinéaste. Terrence Malick sait également mettre en scène la sournoiserie, la trahison et la cupidité. Nick Nolte dans La Ligne Rouge ou Michael Fassbender dans Song to Song en sont la preuve.
Néanmoins, ces personnages échouent et finissent généralement seuls. Leur besoin de s’imposer dans la société les isole. C’est ce qui sépare Brad Pitt de ses enfants dans The Tree of Life. Seul l’amour véritable que Javier Bardem et Rachel McAdams recherchent dans A la merveille est salutaire pour les protagonistes.
Une invitation au voyage et à la méditation
En se laissant porter par la filmographie de Terrence Malick, le spectateur s’ouvre à une véritable expérience sensorielle. Au-delà de la succession de plans sublimes où la recherche esthétique n’est jamais laissée au hasard, ce sont les questionnements universels que l’on trouve chez Malick qui résonnent le plus longtemps en nous.
Secret et loin du paysage médiatique, Terrence Malick nous parle à travers ses films. Artiste en perpétuel processus de création, le réalisateur n’hésite pas à modifier drastiquement son scénario. Des acteurs coupés au montage comme Sean Penn dans The Tree of Life ou Adrien Brody dans La Ligne Rouge s’en souviennent encore.
Brillant diplômé de Harvard ayant étudié la philosophie durant un an au prestigieux M.I.T et traducteur de Heidegger, l’influence d’auteurs comme Borges est perceptible chez le cinéaste. Néanmoins, jamais Terrence Malick n’a emprunt ses œuvres d’une quelconque prétention. Jamais sa filmographie n’a été porteuse d’une quelconque théologie religieuse, ni d’une certaine revendication morale.
Ses films sont des voyages envoûtants sur le moment. Ils nous suivent à la manière d’un poème avec le temps. La cohérence depuis La Balade Sauvage existe bel et bien dans le cinéma de Terrence Malick. Depuis ses débuts, le cinéaste n’a eu aucun mal à capter des moments fugaces qui s’envolent mais que l’on ne veut pas oublier. Ses longs métrages chamboulent et irritent certains spectateurs mais laissent toujours un souvenir impérissable. Comme ses personnages, il suffit de se laisser porter pour entrevoir leur beauté et pénétrer dans un voyage cinématographique d’une richesse démentielle.
(Re)Découvrez la bande-annonce de Song to Song, actuellement au cinéma :