Quentin Tarantino est un des plus grands cinéastes de l'histoire du cinéma, ayant apporté au monde une belle série de chefs-d'oeuvre. Il y a la mise en scène, la musique, l'écriture unique, mais il y a aussi des choix de casting et une direction d'acteurs particulièrement inspirés. On a retenu cinq personnages mémorables de sa filmographie.
Comment choisir ? Comment en distinguer quelques-uns parmi tant ? D’une manière générale, la part de subjectivité et les multiples facteurs qui font d’une interprétation une grande performance empêchent de pouvoir déterminer avec exactitude qui serait définitivement plus méritant qu’un autre. Cependant, avec la forte cohérence de la filmographie de Quentin Tarantino, et son amour infini, aussi bien de metteur en scène que de spectateur, pour les acteurs, on se permet une proposition de sélection, et de hiérarchie tant qu'on y est, entre les personnages les plus mémorables, les plus réussis, sortis de l’imagination du cinéaste.
1) Vincent Vega - John Travolta
Les films de Tarantino reposent historiquement sur un cinéma très parlé, composé de plusieurs personnages qui s’entretiennent beaucoup, sur tous les tons, et dans différentes temporalités ce qui permet de décupler encore le foisonnement. Ses deux premiers films, Reservoir Dogs et Pulp Fiction, en sont de parfaits modèles. Il est logique que Vincent Vega, dans Pulp Fiction, ouvre ainsi le classement.
Interprété par un exceptionnel John Travolta, Vincent Vega concentre beaucoup de ce qui compose les personnages de Tarantino. La violence banalisée, une nonchalance qui frôle le désintérêt voire l’ignorance, et d’une certaine manière, la « courte vue ». Il incarne une forme de sagesse bonhomme, qui n’agit que par morale pratique, c’est-à-dire sans idée ou croyance préétablie, mais uniquement par pure appréciation du moment présent.
Entouré par ce qui est toujours le plus beau casting de sa filmographie, il ne surclasse pas ses camarades, Uma Thurman, Samuel L. Jackson, Bruce Willis, etc., jouant tous parfaitement dans ce premier chef-d’oeuvre. Mais il est peut-être le personnage central de Pulp Fiction. Parce qu’il a cette forme de sagesse « tarantinienne », et parce que son personnage place ses interlocuteurs dans une lumière qu’il ne prend pas. Inoubliable danseur et acolyte essentiel pour la grande performance de Marcus/Jackson, il est le premier personnage total du style Quentin Tarantino. Historique.
2) Mr Pink - Steve Buscemi
Principal animateur d’un huis clos tirant à la pièce chorale, Steve Buscemi réussit dans Reservoir Dogs une de ses plus belles performances. Il est rare chez Tarantino de terminer une histoire sans faire un sort précis à ses protagonistes. Mr Pink ouvre Reservoir Dogs avec un dialogue lunaire devenu culte, et le ferme en disparaissant. Gangster nerveux et bavard, Mr Pink fait de l’ombre aux performances par ailleurs très réussies de Harvey Keitel et Tim Roth, entre autres.
A la fois acteur et observateur du drame, il en est aussi le quasi narrateur. Peu considéré, voire ignoré et méprisé par les autres protagonistes de l'action, son énergie s'exprime surtout dans ses commentaires et ses interrogations quant au drame qui se déroule. C’est un premier personnage inoubliable, dès le premier film de Quentin Tarantino, et il porte en lui aussi beaucoup de ce qui constituera par la suite, avec plus de précision, le langage si particulier des personnages des futurs films.
3) Hans Landa - Christoph Waltz
Quentin Tarantino ne pratiquant pas le manichéisme, il n’y a eu que tardivement de « vrais méchants » dans ses films. Inglourious Basterds et Django Unchained, tout en laissant aux bons leur composante anti-héros, présentent des méchants évidents : des nazis et des esclavagistes. Le terrible colonel Hans Landa, incarné par Christoph Waltz est ainsi son méchant le plus réussi. Aussi pervers que raffiné, doué d’une intelligence aiguë, il représente l’horreur de la manière nazie comme jamais cela n’avait été fait auparavant.
Il va sans dire que la vedette est volée avec brio aux autres stars du casting, Michael Fassbender, Brad Pitt et Diane Kruger pour ne citer qu’eux. Palmé à Cannes et oscarisé pour cette prestation, entre dizaines d’autres distinctions, Quentin Tarantino offre à l’acteur autrichien le rôle qui en fera une star planétaire, adulée par le public, et la critique.
Si Bill dans Kill Bill ou Calvin Candie dans Django Unchained sont aussi des méchants particulièrement bien écrits et bien mis en images, ils n'arrivent pas au niveau de Hans Landa. La relation entre Christoph Waltz et le réalisateur semble idyllique, puisque l’acteur recevra un second Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Django Unchained.
4) Beatrix Kiddo & Mia Wallace - Uma Thurman
En choisissant ces deux personnages, c’est évidemment l’actrice qu’on célèbre, puisqu’Uma Thurman est sans doute l’autre comédienne, avec Christoph Waltz, à nourrir avec Quentin Tarantino une relation si parfaite et féconde. Personnage secondaire, mais ils le sont tous, dans Pulp Fiction, elle crée un personnage culte avec son rôle dans Kill Bill 1 & 2, passant d'un usage fétichiste (les pieds, évidemment) à une matrice de chaos, le tout avec une grâce rare au cinéma. En donnant chair au fétichisme de Tarantino, et au-delà en incarnant son pur fantasme, elle a réussi à transporter le cinéma de Quentin Tarantino dans un registre plus féminin, un registre par ailleurs particulièrement absent dans la majorité de ses films (notons l'exception Boulevard de la mort).
Muse, objet de désir total, donc d’amour et de haine, beauté supérieure et gueule cassée, il y a autant de l’écriture unique de Tarantino qu’un don de soi inouï de la part de l’actrice. S’il devait se considérer particulièrement redevable de performances de jeu, ce sont sans aucune contestation possible celles d’Uma Thurman.
5) Cliff Booth - Brad Pitt
Étonnant ? Trop tôt pour le dire ? Peut-être, mais en réalité son plus grand chef-d'oeuvre, Once Upon a Time… in Hollywood, en a fait éclater l’évidence. Le cinéma de Quentin Tarantino, qui est un cinéma de fan, ne pouvait pas faire l’économie d’un acteur rêvé, d’un personnage qui rassemblerait à tous les autres dans un corps hollywoodien, c’est-à-dire un corps aussi parfait que malléable, capable de tout incarner et de recevoir toutes les projections fantasmatiques, sans plaisir et sans souffrance. Dans ce dernier film, Leonardo DiCaprio livre une performance d’acteur plus riche et plus élaborée que celle de Brad Pitt. Ce dernier, s’il en est capable, n’a jamais été un acteur très bavard, ni un forcené de la composition qui voudrait à tout prix passer du rire aux larmes dans le même plan pour montrer tout son talent. Dans toute la filmographie de Quentin Tarantino, jamais l'écriture d'un film n'a autant été ordonnée par un personnage.
Son rôle dans Inglourious Basterds avait déjà montré la compatibilité entre l'acteur Brad Pitt et le réalisateur Quentin Tarantino. Mais c'était au sein d'un groupe élargi de comédiens, et au sein même de ce groupe, il était un basterd comme un autre. Et dans son dernier film, on peut observer un phénomène rare, celui d'une progression et d'une évolution du rôle de Brad Pitt, passé de soldat, presque de pion, à quasi narrateur de Once Upon a Time... in Hollywood. Il est le personnage central du film, et il incarne le message de l'auteur. Quentin Tarantino considère que le grand Hollywood, celui qui précède les années 70, est celui du cascadeur que Brad Pitt incarne : une industrie rêveuse, aux coulisses violentes, sans caprices de star, une forme de médiocrité rassurante et pérenne.
Ce que Brad Pitt synthétise le mieux, dans ce film et dans l'écriture de Tarantino, c'est cette forme de sagesse de l'homme moyen, de nonchalance invincible. Il est le fantasme absolu de Quentin Tarantino, une projection homo-érotique et l'incarnation sublimée de ce que le metteur en scène se représente être un véritable acteur. De toutes les réussites de ce film, celle-ci est une des plus éclatantes, et il a permis à Brad Pitt d'assurer qu'il était bien un des plus grands acteurs de l'histoire du cinéma. Un film comme un bilan, et de la carrière de Brad Pitt, et de la filmographie de Quentin Tarantino.