En confiant le rôle du Joker à Joaquin Phoenix, Todd Philips et Warner ont visé juste. L’acteur s’investit pleinement dans ses rôles et sa présence augure souvent un film réussi. Surtout, n’ayons pas peur de l’affirmer : Joaquin Phoenix est l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Retour sur ses grands rôles au cinéma.
The Master
Une scène de The Master suffit pour comprendre l’étendue du talent de Joaquin Phoenix. Il fait face à Philip Seymour Hoffman, grand acteur lui aussi, gourou qui l’oblige à ne pas cligner des yeux. Phoenix lutte, se donne des claques, transpire… Il sait ainsi se montrer tout aussi inquiétant que fascinant au fil du film de Paul Thomas Anderson. Le cinéaste lui octroie d’ailleurs le premier rôle de son long-métrage suivant, Inherent Vice. C’est un tout autre registre que l’acteur offre cette fois-ci au spectateur : il mène l’enquête dans un film halluciné, et semble autant perdu que le spectateur qui suit l’intrigue.
Il est d’ailleurs amusant de remarquer que P.T. Anderson a collaboré à deux reprises avec le non moins génial Daniel Day Lewis, pour There will be blood et Phantom Thread. Au-delà d’une certaine ressemblance physique, on retrouve en effet un même type de jeu chez les deux acteurs : habités par leurs rôles, ils s’approprient totalement la logique de l’Actor’s studio, qui a fait les grandes heures de Marlon Brando, Robert De Niro ou encore Al Pacino. De plus, Phoenix, comme Lewis, savent se faire rare, en étant rarement à l’affiche de plus d’un film par an.
La Nuit nous appartient (et Two Lovers)
Sur les sept films que compte la filmographie de James Gray, Joaquin Phoenix a tourné dans plus de la moitié : The Yards, La Nuit nous appartient, Two Lovers et The Immigrant. Au moment d’établir quels étaient nos rôles préférés de l’acteur, difficile de trancher. D’un côté, on a Bobby, dans La Nuit nous appartient, un gérant d’une boîte tiraillé entre ses patrons mafieux et sa famille où le métier de policier se transmet de père en fils. De l’autre côté, dans Two Lovers, Leonard est un homme introverti, tiraillé encore une fois, cette fois ci entre sa voisine dont il tombe amoureux, et la femme que sa famille veut qu’il épouse.
Dans les deux rôles, Joaquin Phoenix est en proie à des doutes existentiels. Non content de passer d’un registre à l’autre, on trouve aussi des échos de scènes entre les deux longs-métrages. La Nuit nous appartient commence sur une électrisante scène en boîte dans les années 1980. Le personnage surplombe le club qui lui appartient, avant de se mêler à la foule, bien que son statut le maintienne en dehors du tout-venant. Dans Two Lovers, que James Gray tourne dans la foulée, une scène vient comme un miroir à celle citée précédemment. Au milieu des danseurs, le protagoniste se lance dans une danse inattendue, avant de se mêler au reste des personnes présentes. En bref, deux moments joyeux dans des films plutôt dramatiques, et Joaquin Phoenix toujours impressionnant.
I’m Still here
On comparait plus haut Joaquin Phoenix à Daniel Day Lewis. Ce dernier avait annoncé sa retraite il y a une vingtaine d’années, avant de revenir pour Gangs of New York, puis à nouveau après Phantom Thread. Phoenix a lui aussi déclaré arrêter le cinéma en 2008, pour se consacrer à une carrière musicale. Interviews ratées, débordements médiatisés, concerts affligeants… Quand on voit a posteriori une interview chez David Letterman qui date de 2009, on pourrait se demander comment tout le monde n'a pas compris qu’il s’agissait d’un canular. Mais bien sûr, il est facile de se positionner dix ans plus tard : après tout, ce changement brutal de cap n’était pas si étonnant.
Car Phoenix n’est pas une star comme les autres. Il semble se considérer plus comme un artisan que comme une personnalité médiatique. Il n’y a qu’à voir à quel point il paraît étonné de recevoir un prix d’interprétation à Cannes pour A Beautiful day, tellement pris au dépourvu qu’il récupère sa récompense en simple Converse, dans une ambiance qui est plus propice aux mocassins cirés. Pour en revenir au film, quand I’m Still Here sort en 2010, les spectateurs se rendent comptent que l’attitude étrange de l’acteur n’était en fait qu’un rôle grandeur nature, pour un vrai « faux » documentaire qu’il fabrique avec son ami Casey Affleck. En bref, c’est une véritable performance d’acteur qui s’est étalée en dehors du grand écran, et ce pendant près de deux ans.
Her
La filmographie de Phoenix ne se contente pas d’un rôle type, mais est parcourue de personnages assez divers. S’il fallait trouver une des lignes directrices cependant, on pourrait dire qu’il s’agit souvent d’hommes ne vivant pas sur la même longueur d’onde que leurs semblables. L’interprétation est à chaque fois travaillée, de telle façon qu’on ne peut pas dire que « Phoenix fait du Phoenix » : dans Her, par exemple, il est assez méconnaissable.
Theodore, protagoniste dépressif du film de Spike Jonze, tombe amoureux d’une intelligence artificielle, et passe émotionnellement d’un extrême à l’autre. L’amplitude du jeu de l’acteur sert efficacement une histoire qui se passe dans un futur proche, loin d’être invraisemblable. Comme d’habitude, il ne faut pas oublier qu'il travaille avec des cinéastes talentueux, dont la direction sert sûrement en partie à tirer le meilleur de l’acteur.
Walk The Line
Finissons ce classement, évidemment subjectif, avec le rôle qui révèle l’acteur aux yeux de nombreux spectateurs. Un petit retour en arrière s’impose tout de même, puisque la carrière de Joaquin Phoenix ne commence pas avec le biopic de Johnny Cash. On peut dire qu’être acteur est une affaire de famille chez les Phoenix, puisque sa sœur Summer et son frère River tournent eux aussi, dès l’adolescence, dans des séries aujourd’hui oubliées. River Phoenix est ainsi un jeune acteur plébiscité, mais meurt tragiquement à 23 ans, en 1993. Joaquin, lui, est encore peu remarqué jusqu’aux années 2000, exception faite d’un second rôle dans Prête à tout de Gus Van Sant.
En 2000, cependant, son rôle littéralement impérial de Commode dans Gladiator est remarqué. Un film qui sort au même moment que The Yards, déjà cité, et qui est suivi de nombreuses réussites. Ainsi, on l’adore chez M. Night Shyamalan (Signes et Le Village). Mais venons-en enfin à Walk The Line, film de James Mangold (auteur notamment de Logan) qui retrace la vie du chanteur folk Johnny Cash. Un film assez classique et efficace, dans lequel l’acteur est encore une fois talentueux. Ni plus ni moins que d’habitude. Cela lui vaut une nomination aux Oscar, car l’Académie est notoirement friande des histoires vraies. S’il ne remporte pas de statuette, gardons à l’esprit que Joker sort justement pile à la saison des films à Oscar. Gageons que son rôle de composition saura être remarqué, et pourquoi pas récompensé !