Que vous jouiez ou pas aux jeux-vidéo, la sortie récente du jeu "Red Dead Redemption II" ne vous a sûrement pas échappé. Et pour cause, le nouveau jeu de Rockstar (à qui on doit la série des GTA) est un véritable événement culturel, capable d’écouler 17 millions d’exemplaires en une dizaine de jours. Un jeu fleuve, qui nous immerge pendant d’innombrables heures dans un far-west au tournant du siècle, dans lequel les hors-la-loi et autres cow-boys sont sur le déclin.
Manette en main, d’innombrables films nous viennent à l’esprit : le second Red Dead Redemption est pétri de références cinématographiques, à l’instar des autres jeux du studio. Si le premier volet était une référence explicite au crépusculaire Impitoyable de Clint Eastwood, après une dizaine d’heures de jeu, nous ne résistons pas à vous dresser une liste de cinq westerns à voir, ou à revoir, entre deux parties. Une liste loin d’être exhaustive, mais avec des films qui nous tiennent à cœur, et auxquels nous n’avons pu nous empêcher de penser, émus, alors qu’on chassait le grizzly ou qu’on partait à l’assaut d’un train avec notre bande de joyeux brigands …
1. Il était une fois dans l'ouest
Le premier film est une évidence, un monolithe, tellement incontournable qu’on hésitait à l’inclure. Mais après l’avoir revu à la Cinémathèque Française, on ne peut s’empêcher d’en parler. Qu’est-ce qui n’a pas été dit sur le chef d’œuvre de Sergio Leone, qui a cinquante ans et toutes ses dents cette année ? Fresque mélancolique, Il était une fois dans l’ouest est conçu comme un hommage « ultime » au Western. Il faut dire que Sergio Leone, qui vient de révolutionner le genre avec trois films en l’espace de trois ans (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, et Le bon, la brute et le truand), a grandi imprégné d’un imaginaire américain, rêvant des grands espaces de l’ouest en lisant des fumetti (bandes dessinés italiennes bon marché, beaucoup inspirées des pulps américains) et en allant religieusement voir des westerns sur grand écran.
Quand il entreprend Il était une fois dans l’ouest, il rédige avec deux futurs grands noms du cinéma italien, Bernardo Bertolucci et Dario Argento, un scénario en reprenant toutes les scènes clés des films qui les ont marqués. En ressort un manuscrit épais comme un annuaire, qu’un quatrième scénariste, Sergio Donati, viendra épurer et améliorer pour arriver au résultat qui sortira en salle en 1968. Si Il était une fois dans l’ouest est une pierre marquante dans l’Histoire du cinéma, il se veut ainsi dès sa conception être « le » western parmi les westerns, rendant hommage au genre tout en devenant lui-même une référence incontournable. Red Dead Redemtpion II adopte plus ou moins la même démarche, et deviendra peut-être, qui sait, lui aussi une référence dans l’imaginaire collectif …
2. Le Grand silence
Grâce au succès impressionnant, et inattendu, des premiers films de Sergio Leone qu’on vient de citer, une palanquée d’imitateurs transalpins se mettent eux aussi à tourner des westerns en Italie, ou plutôt le cinéma italien se réintéresse à un genre qu’il s’était approprié dès les années 1910 (déjà !), avant qu’il ne tombe en désuétude. Si beaucoup de ces films, qualifiés avec mépris de « western spaghetti » en France, ne sont que de pâles copies de Pour une poignée de dollars, certains sortent du lot. C’est le cas pour Le Grand Silence, magnifique film de Sergio Corbucci qui date lui aussi de 1968. Si le protagoniste est encore un homme sans nom, c’est aussi un homme sans voix – d’où son surnom de « Silence » -, admirablement incarné par Jean-Louis Trintignant, qui doit faire face au terrifiant Klaus Kinski. Un français et un allemand qui se partagent l’affiche d’un film italien reprenant des codes américains : pas de doute, on est dans la pure tradition du western spaghetti.
Mais là où se démarque Le Grand Silence, c’est que l’action se situe non plus dans des décors désertiques mais dans des décors enneigés. Une neige omniprésente, qui donne au film une esthétique marquante et visuellement époustouflante, mais aussi une ambiance littéralement glaciale. Les véritables criminels sont les chasseurs de primes et les représentants de l’état, et le discours est étonnamment nihiliste. Telles les sonorités de la musique d’Ennio Morricone, le film en lui-même ressemble à quelque chose qu’on connaît, tout en étant à part, étrange objet mélancolique et incontournable. Le sang dans la neige a en soi quelque chose d’immensément poétique, comme semble l’avoir compris Quentin Tarantino dans Les Huits Salopards. Les développeurs de Red Dead Redemption II eux non plus n’ont pas oublié Le Grand Silence : pendant une longue introduction, nous sommes immergés dans les monts enneigés surplombant, très loin, un désert beaucoup plus familier.
3. La Porte du paradis
Le jeu de Rockstar Studio est visuellement époustouflant, et ses effets de lumière nous rappellent l’ambiance de certains films. La référence qui nous saute le plus aux yeux est peut-être La Porte du Paradis, échec magnifique à sa sortie en 1980, mais réhabilité depuis sa redécouverte en 2013. C’est le regretté Michael Cimino qui a signé cette œuvre de près de quatre heures, au tournage pharaonique, si cher qu’elle coula la United Artists, mit fin aux ambitions démesurées du réalisateur, et signa symboliquement l’arrêt de la période dite du « Nouvel Hollywood », inaugurant une nouvelle ère pour le cinéma américain. Cette histoire de massacre, en 1890, d’immigrés d’Europe de l’est par de riches propriétaires terriens (on retrouve, une fois encore, une méfiance envers les institutions de l’époque) est portée par Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, Christopher Walken ou encore Jeff Bridges. Visuellement, le film est une claque : Vilmos Zsigmond, un des plus grands (si ce n’est le plus grand) directeur de la photographie de l’époque, signe de véritables tableaux éclairés en lumière naturelle, magnifiant l’ouest comme seuls une poignée l’avaient fait auparavant. L’ambition de La porte du paradis n’est pas qu’une intention sur le papier : elle est visible, et inoubliable.
4. Les 7 mercenaires
Dès la première image qui annonçait Red Dead Redemption II, la référence était présente. Cette image, elle est d’ailleurs encore présente sur la jaquette du jeu : sept cavaliers dos au soleil couchant. Le film de 1960, signé John Sturges, a connu un remake assez moyen en 2016 (et déjà oublié, il faut l’avouer), et est déjà lui-même un remake, celui des Sept mercenaires d’Akira Kurosawa. Au final, cette histoire de sept mercenaires / samouraïs sympathiques malgré leurs défauts, qui finissent par dévoiler malgré eux leur bon fond en venant à la rescousse d’un village, s’applique aussi bien au Japon féodal qu’à l’ouest américain moderne. La bande de hors-la-loi à laquelle appartient Arthur Morgan, héros du jeu, est elle aussi composée de splendides anti-héros, pas si irrécupérables que ça. La trame narrative de Red Dead Redemption II nous emmène d’ailleurs à les découvrir dans toute leur complexité, tout comme Sturges. Une bande hétéroclite, cosmopolite, et surtout attachante.
5. Le Vol du grand rapide
Le Vol du grand rapide date de 1903 et n’est rien de moins que le premier des westerns, et le premier film notable venant des États-Unis. Cent-quinze ans avant Red Dead Redemption II, on assiste déjà à l’incontournable vol de train, avec un malheureux qui finit par en être expulsé par la force, les passagers qui sont pris en otage, les braqueurs qui fuient avec le magot, s’enivrent dans un saloon, et pour beaucoup sont rattrapés par les forces de l’ordre. Plus de cent ans plus tard, plusieurs milliers de westerns auront été tournés, racontant tous à leur manière l’Histoire des États Unis. On aurait aimé vous parler de John Ford, de Sam Peckinpah, d’Howard Hawks, mais aussi de tous les westerns atypiques qui ont vu le jour, des robots de Westworld au délire coréen du Bon, la brute et le cinglé. Car au final, chaque western a raconté son époque, et continue de le faire aujourd’hui encore …